"Mais, Nathanaël, qu'avais-tu donc espéré ?"
Ayant passé la nuit au refuge, à Arca _ Dix neuf kilomètres avant Saint-Jacques de Compostelle _ Santiago ! _ Odeurs diverses dans la chambrée, ronflements encore de quelques dormeurs, acrobaties pour rouler son sac de couchage sans se cogner la tête aux barres de la couchette supérieure. Le sac à dos est tout prêt ... Le saisir sans bruit, et puis prendre aussi le bâton de marche, le poncho encore mouillé des averses de la veille, le chapeau protecteur ... Passer dans le grand hall ... Zut, tu avais pourtant bien essayé de ne pas faire de bruit mais la porte a claqué. Avaler un sandwich et boire un peu de lait achetés la veille car, à cette heure, pas un seul bar ne sera ouvert .
Il pleut, il pleut encore : Une pluie drue, serrée, froide, incessante ... Le poncho qui recouvre à la fois ton sac et ton dos ? _ Pas du tout étanche sous une pluie pareille ! ... Quitter Arca par la "calle Mayor" ( Quand la rue principale ne s'appelle pas ainsi, elle porte le nom de "calle Real") ... Il fait nuit encore. S'enfoncer dans l'ombre, entre les façades qui bordent la chaussée ...
_ " Prenez la route nationale sur votre gauche. Elle n'est pas balisée, mais lorsque vous arriverez à la dernière maison, tournez sur votre droite en direction de San Anton. Vous retrouverez un peu plus loin, sous les arbres, les bornes auxquelles vous êtes habitués, portant coquille jaune sur fond bleu. " _ Du moins c'est ce qu'avait dû vouloir expliquer en Espagnol la jeune femme qui avait la responsabilité du refuge, l'hospitalière comme on dit.
Lampe électrique à la main pour éviter les flaques les plus importantes _ Essayer de lire les panneaux indicateurs.
_" Tu crois que c'est par là ?"
Mais voici poindre l'aube. L'est blanchit vite, tandis que l'on va vers l'ouest :
_ " A l'ouest, toujours plein ouest ! " Et ceci depuis Navarrete _ A l'ouest, vers la Galice ! "
Pluie, pluie, pluie ... Mais il pleut presque tous les jours depuis que l'on a quitté Saint-Jean-Pied-de-Port pour passer les cols en direction de Roncevaux ... Deux jours de soleil seulement, en tout et pour tout ... Ce n'est pas en Galice que le temps va changer !
_" L'an dernier, au mois de mai, la province a connu vingt sept jours de pluie !"
Pas étonnant que les pentes soient si vertes : grasses prairies, forêts de chênes et d'eucalyptus géants, des ruisseaux partout : Même les rues des villages sont des ruisseaux. Aujourd'hui, on pourrait parler plutôt de torrents ... de torrents de purin bien souvent, que dégorgent les étables nombreuses. Climat atlantique : alignements de camélias et de rhododendrons aux bords des sentiers. Les sommets s'arrondissent, s'adoucissent. Pluie, toujours la pluie : Les épaules mouillées et les pieds trempés dans les chaussures, les chaussettes sont gorgées comme des éponges ... Marcher, marcher ... Ultreïa ! A Santiago !
San Anton, Amenal, Cimadevilla _ Petits villages pas très attrayants _ Églises qui tournent le dos ... Mais on en a tant vu, des églises, tout au long de ce périple qui a duré un mois entier! Comme d'habitude, le chemin longe le mur du cimetière :
_ " Adios, "Companeros", rangés dans vos casiers de pierre ou de béton. Dormez en paix ! "
Au détour du sentier qui prend ici l'allure d'un champ de labour ... Un tracteur est passé par là et a creusé les fondrières ... Où poser le pied, si ce n'est en plein dans la boue ? ... Pas le choix ... Au détour du sentier une sorte de monument, petit autel creusé dans le talus de terre : Plaque de bronze ... Un pèlerin est mort là, il y a un ou deux ans, un pèlerin espagnol ... A la veille de l'arrivée à Santiago ! Impossible d'en savoir plus, mais ceux qui ont érigé le monument à sa mémoire ont placé sur l'autel une paire de sandales coulées dans le bronze, lanières ouvertes : Ce pèlerin est monté droit au ciel, laissant là ses sandales ouvertes !
_"Adios "Companero" _ Que ton âme repose dans la paix du Seigneur! _ Je prierai pour toi à Compostelle. "
Tu croyais en avoir fini avec les pentes à grimper ? _ Il y en a encore, encore et toujours, et tu sais bien qu'il doit y en avoir encore une dernière, raide, celle qui te permettra d'arriver au sommet du Mont Gozo (le Mont-de-la Joie), d'où l'on aperçoit enfin Santiago, la ville sainte vers laquelle se hâtent, depuis mille ans, les pas des pèlerins.
A ta gauche, que tu devines mais que tu ne vois pas, à cause des eucalyptus et de la pluie ... Ah ! l'odeur des eucalyptus ! ... A ta gauche se trouvent les pistes de l'aéroport de Lavacolla. Un avion décolle sans qu'on puisse l'apercevoir. On entend aussitôt les rugissements d'un autre avion gros-porteur qui se pose _ Depuis un mois que tu marches, tous les sillages argentés dans le ciel filaient vers l'ouest, vers Santiago _ C'est ici qu'ils venaient, chacun apportant son lot de pèlerins ... Longer les grillages de l'aérodrome sans rien en voir. Traverser des routes, passer sous d'autres encore. La pluie redouble. Avancer, avancer ... Nous sommes partis de bon matin pour tenter d'arriver à Santiago avant midi : A cette heure-là, dans la Cathédrale de Santiago, on célèbre la messe des pèlerins. Nous sommes des pèlerins. Cela a tout de même plus d'allure, de descendre la pente du Monte del Gozo en plein matin et d'assister à la messe des pèlerins dès l'arrivée dans la ville, le sac encore sur le dos et le bâton à la main ... Si nous arrivons trop tard, nous ne pourrons assister à la messe que demain ... Il te semble Nathanaël, n'est-ce pas, que cela n'aurait pas du tout le même panache ...
Tu avais rêvé d'un autre cérémonial : Une arrivée au sommet du Monte del Gozo dès le soir ... Arrivée en groupe, avec tous les pèlerins qui ont été tes compagnons de chemin, ceux qui sont partis de Roncevaux en même temps que toi... Tu les as revus tout au long du Chemin, sur les pentes de la Navarre, au travers des vignobles et des plantations d'oliviers de la Rioja, sur les pistes rouges de la Castille et du Léon, les sentiers abrupts de la province de Lugo puis ceux de la Coruna ... Tu en as vus qui te dépassaient, tu en doublais d'autres, certains t'ont accompagné une journée, d'autres plusieurs jours ... Quelques-uns disparaissaient : Avaient-ils été malades ? ... Avaient-ils quitté le Chemin, écrasés de fatigue, jambes lourdes et les pieds enflés ?
... Quelques-uns étaient sortis d'on ne sait où : On ne les avait jamais vus auparavant ... Tu avais les jambes douloureuses et les pieds blessés : Le médecin dépêché par les autorités espagnoles au refuge de Ribadiso, juste avant Arzua t'avait donné des anti-inflammatoires :
_ " Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? _ Normalement je devrais vous prescrire du repos, mais comme vous devez aller jusqu'à Santiago ! " ... Alors il t'avait bandé la jambe.
Tu avais donc rêvé d'arriver le soir, en groupe, au refuge du Monte del Gozo ... C'est même pour cela que tu avais parcouru quarante kilomètres d'une seule traite, l'autre jour, afin de rejoindre à Portomarin ceux qui t'avaient dépassé ... On aurait dormi au complexe hôtelier des pèlerins et puis ... On serait descendus ensemble vers la ville dans le petit matin, ensemble ...
Mais il avait fallu renoncer à ce beau projet : Les intempéries et certains malentendus avaient brouillé les cartes.
L'ermitage de San Roque sur la droite, puis Villamayor traversée, puis San Marco, les immenses antennes de la télévision espagnoles puis celles de la télévision de Galice _ On ne voit pas grand chose sous la pluie _ On devrait être au sommet du Monte del Gozo ... C'est ici que les pèlerins, au Moyen-âge déjà, s'embrassent en apercevant la ville ... Aujourd'hui, tu n'as rien aperçu. Tu n'apercevras rien du tout et tes chaussettes sont de plus en plus gorgées d'eau, ton dos est de plus en plus mouillé. Le sommet du Monte del Gozo ? _ Tu n'y es pas encore et la pente continue. Le voici enfin, ce fameux complexe religieux, hôtelier et culturel tout à la fois, construit pour accueillir les pèlerins : Fontaine, croix, bâtiments immenses, bureau d'accueil ...
_ " On va faire apposer le sceau du Monte del Gozo sur notre "Crédential" ? _ Le "Credential", c'est le carnet du pèlerin, qui donne accès à tous les refuges ...
_ " Non ... Je sais bien que la plupart des pèlerins cherchent à orner leur carnet du plus grand nombre possible de sceaux, mais je ne pratique pas ce rite ... Et puis avec la pluie, je n'ai guère envie de m'arrêter : "Ultréïa" ! _ Plus loin ! "
On descend vers la ville que l'on ne devine qu'aux premières maisons de sa banlieue. Sans doute, par beau temps, on doit apercevoir la cathédrale et ses deux flèches ... Mais aujourd'hui! D'ailleurs, par-delà les faubourgs, une hauteur coupe ce qui sert d'horizon ... Au-delà, aujourd'hui, on n'aperçoit rien du tout. Descente rapide sur le goudron de la chaussée, traversée d'une route, énormes giclées de camions pressés, avancée dans la zone industrielle, progression sur le trottoir de la route nationale ...
_ " Tu es déçu ? _ Mais qu'avais-tu donc espéré ? "
_ " Donde este el Camino de Santiago ? "
Tu l'as posée si souvent, cette question-là, tout au long de ton pèlerinage ...
_ " Où est le chemin de Santiago ? "
A vrai dire, tu n'aurais eu guère besoin de poser des questions : Le chemin est balisé de bout en bout, de Roncevaux à Santiago, de flèches jaunes peintes sur les pierres et sur les murs, de poteaux et de bornes ornées de coquilles _ Coquilles Saint-Jacques, bien entendu. En tout cas, sans aucune hésitation, tout espagnol passant par là indique le bon chemin .
Ici, c'est un peu différent. Tu as traversé Pampelune et Burgos en suivant les flèches ... A Logrono et Léon, les trottoirs étaient marqués de coquilles de bronze ... Interminables, les approches des grandes villes, épuisantes, dans les décors qui sont ceux de toutes les banlieues industrielles ... Mais au moins, le tracé du Chemin était clairement indiqué. Ici, plus rien !
_ "Donde este el Camino de Santiago ?" ...
A la porte d'un magasin où l'on vend des chasubles et des ornements brodés, un vieux monsieur t'a répondu, abrité sous un parapluie noir. Tu as cru comprendre qu'il fallait continuer tout droit, tout droit, tout droit ... Et qu'il y avait encore trois kilomètres à faire ...
Chienne de pluie qui n'en finit pas et ... Ridicule mais vrai, les lobes des oreilles te démangent, te brûlent, là où le froid les a mordues, au cours de la longue étape de San Juan de Ortega, étape parcourue sous les rafales de vent, de neige et de pluie ... Piste boueuse au-milieu de la forêt dénudée ... On s'attendrait à rencontrer des brigands ou des loups ! C'était juste avant d'arriver à Burgos ... Cela semble si loin, Burgos pourtant...
Alors tu as continué tout droit, tout droit. Il t'a semblé, et c'était bien vrai sans aucun doute, que personne ne prêtait la moindre attention à toi, pèlerin crispé sur ton bâton, tête basse sous l'ondée, les pieds et le dos mouillés.
_ " Mais qu'avais-tu donc espéré ? "
Roulent les voitures, les autobus vrombissent , les pneus gémissent en faisant gicler l'eau. Quelques piétons, rares, pressés ... Tu avais pris l'habitude que l'on réponde à ton salut ?
_ "O la ! Buenos dias !"... Ou bien : " Buenas tardes"... Tiens, au fait, à partir de quelle heure les Espagnols passent-ils du "Buenos dias au Buenas tardes" ?
Le passant répondait toujours, ajoutant souvent :
_ " Buen viaje ! "
Mais si tu y réfléchis, tu as dû t'apercevoir que, depuis ton entrée en Galice, les saluts se font plus rares. Cela peut se comprendre : Dans cette province, tant de pèlerins sont passés, depuis si longtemps ! ... On est si accoutumé à en voir passer par tous les temps ! Tu ne t'es pas aperçu que tu avais, petit à petit, changé de statut ?
*
A Fromista (superbe église romane, sans doute la plus belle du parcours ...) une petite vieille tout de noir vêtue dans le soir ... Tu t'en approches pour demander ton chemin et, quand elle devine que tu es pèlerin, elle sort d'un sachet de plastique une, deux, trois, quatre madeleines. Elle ajoute un pot de yaourt, puis, après un instant, encore quatre carrés de chocolat ... Ce qu'elle a dû te dire, et que tu n'as pas très bien compris, ce devait être une demande :
_ " Priez pour moi à Compostelle ! "
Tu as été tenté de refuser le cadeau : d'autres en auraient peut-être besoin ... Puis tu es parti rejoindre le refuge avec tes madeleines, ton yaourt et tes quatre carrés de chocolat : Tu étais pèlerin, donc tu devais accepter : C'était ton rôle, découlant de façon impérative du statut qui était le tien. Et c'est ce jour-là que tu t'es aperçu que le nom que tu avais porté jusque là n'était plus le tien, que ton identité ne se définissait plus par tes attaches familiales ou géographiques, ni par la profession qui était la tienne : Tu étais le pèlerin, un pèlerin, voilà tout et n'était-ce pas, au bout du compte, ce que tu avais cherché sans le savoir, lorsque tu avais décidé de partir ? Le pèlerin n'a pas de passé, ne considère guère le lendemain :
_ " Lorsque nous arriverons à Compostelle ...? Moi, j'ai bien assez à faire pour traîner mon sac et ma fatigue jusqu'à la borne que je vois, là-devant ! "
Ce statut du pèlerin, le cordonnier de Sahagun te l'a confirmé, laissant tomber tout son travail, tous ses clients, pour réparer tes chaussures dont les semelles se décollaient.
_" Vous êtes pèlerin ? _ Laissez-moi vos chaussures et revenez dans une heure : Elles seront prêtes et les semelles neuves que je vais vous poser vous conduiront sans aucun problème jusqu'à Santiago ! " ... A ton retour dans la boutique, tu ne t'es pas étonné qu'aucun des clients qui attendaient n'ait protesté ? Tu étais Le Pèlerin.
Et ne te serais tu pas aperçu que ton statut avait changé maintenant ? ... ou n'aurais-tu pas compris pourquoi ? Avoue-le : l'état de pèlerin te seyait fort bien ... Le gouvernement espagnol a construit des routes et des chemins spécialement pour les pèlerins. Il a bâti, rénové d'anciens hospices, pour en faire des gîtes de bonne qualité, recevant gratuitement ou presque tous ceux qui sont munis du "Credential", gîtes équipés de dortoirs ou de chambrées, de salles d'eau, de douches chaudes, de cuisines, de salons, parfois de salles où se trouvent des machines à laver et même des séchoirs électriques ... On attend dix millions de pèlerins à Saint-Jacques de Compostelle, à l'occasion de cette année 1999, dernière Année Sainte du siècle ... Dix millions de pèlerins de toutes origines et se déplaçant par tous les moyens ...
Des panneaux ont été dressés le long des routes, d'immenses panneaux indiquant que tous ces travaux ont été financés avec l'aide de l'Union Européenne. Ce n'est pas rien, de marcher sur un "Itinéraire Culturel Européen", reconnu par l'U.N.E.S.C.O. ! Ajoutons à tout cela que les pas des anciens pèlerins, ceux qui ont marché vers l'ouest depuis l'an mil, cape sur le dos et chapeau à large bords, sont encore visibles partout et que l'on n'a pas manqué de les souligner ... Les ponts sont romains, souvent en dos d'âne, les chaussées sont romaines, au moins sur certains tronçons de l'itinéraire, ce qui est particulièrement visible à Cirauqui, entre Puente la Reina et Estella, les églises, souvent sont romanes, mais les églises gothiques tout aussi bien sont ornées de statues de Saint Jacques, les maisons sont parfois décorés de coquilles...
Comment ne pas se sentir investi d'un statut particulier ? _ Voyage dans le temps aussi bien que dans l'espace, reconnu, affiché par les bâtiments anciens, par les chroniques, mais tout autant par les bars, les cafés, les hôtels et les restaurants dans lesquels on sert le "Menu du Pèlerin"... Bien peu de ces établissements qui ne s'intitulent "Hostal de Peregrinos", "Bar de Peregrinos"... Même les "paradores", équivalents luxueux de nos hôtels cinq étoiles, sont installés dans d'anciens "Hôpitaux"de pèlerins : C'est le cas à Najera, ancienne capitale royale, à Léon, à Santiago même. Je vous le demande : Comment ne pas se sentir adoubé, investi ?
_ De cette fierté, découle la certitude de certains devoirs bien conscients, qui sont sans aucun doute les ressorts donnant la force, chaque matin, de se mettre en route malgré douleurs musculaires et les ampoules aux pieds, malgré la pluie, le vent, l'orage, la grêle ou la neige ... Tu jettes le poncho sur tes épaules, tu crispes ta main sur le bâton, tu baisses la tête, tu avances ... Et les douleurs finissent par s'estomper.
Et puis, là, arrivant au terme de ton voyage, ayant gravi des pentes, dévalé des torrents, vacillé sur les galets ou les rochers, dérapé dans la glaise, lutté contre les éléments. Là, dans les faubourgs de la ville, entre des murs gris et ruisselants, tu te sens redevenu ce qu'au fond tu avais rêvé de n'être plus ... Un parmi les autres, un que l'on ne regarde plus.
Comment es-tu parvenu à Santiago jusqu'à la place de l'Obradoiro ( l'ouvrage d'or) ? _ Au fond, tu ne le sais même pas. Tu es passé par une rue étroite où sont des boutiques dans lesquelles on vende colifichets, bourdons de bois, coquilles de fer blanc, cartes postales, mais aussi saucissons secs, chorizos et jambons ! ... Après tout, la vie, c'est cela et tu replonges dans cette vie-là ...
La place de l'Obradoiro est superbe, dallée de pierres vénérables, entourée de bâtiments majestueux : derrière toi la façade néo-classique de la Mairie de Santiago, (l'Ayuntamiento). A ta droite, le Colegio San Jeronimo, qui est actuellement le siège du Rectorat, à ta gauche, l'Hostal de los Reyes Catolicos ( pas moins !), qui est actuellement l'un des "Paradores", l'un des hôtels les plus luxueux du pays (chasseurs à casquette et galons dorés portant les valises ...)
Et puis en face, "La Cathédrale" ... On la connaissait par les reproductions répandues dans le monde entier, par les gravures aux pages des livres, par les photographies sur les affiches...
"La Cathédrale" ... Eh bien oui, elle est là, devant toi et tu trouves sa façade plus noircie que ne le montraient les photos. ... Parbleu la pluie qui n'a pas cessé n'arrange rien ! ... Les tours sont baroques ... On le savait ... Très baroques. Le portail est orné d'une multitude de sculptures et de statues : On les devine plus qu'on ne les voit, tant, également, elles sont noircies par le temps et par les ans . Double escalier majestueux, arrondis, cintres, colonnes et moulures ...
On a un peu peur de ce que l'on va trouver en pénétrant dans le sanctuaire ... Tu te souviens des églises du chemin, des Cathédrales rencontrées : Pampelune, Burgos, Punte-La Reina, Estella ... Mention spéciale pour celle de Najera qui abrite le panthéon des Rois de Navarre et tous leurs gisants ... Mais mention spéciale aussi à l'église de San Domingo de la Calzada qui contient un poulailler, souvenir d'un miracle moyenâgeux qui fit revenir à la vie un poulet déjà rôti ... Ici il y a une poule blanche et un coq blanc ... Si le coq chante, cela porte bonheur au pèlerin en visite ...
Dans la plupart de ces églises il y a trop d'or, trop d'or et d'argent, trop de colonnades, trop de frises, trop de niches et trop de statues en bois polychrome ou recouvertes de métaux précieux et de bijoux, trop, trop, trop ! ... A croire que c'est là que se retrouve tout l'or et tout l'argent que les galions ont jadis ramené des Amériques ... Devant le spectacle offert par certains retables compliqués, on ne peut que songer aux pagodes d'Asie, à leurs ornements et aux statues du Bouddha ... Après tout ...
Tu voulais monter les escaliers pour pénétrer dans la cathédrale ... Les cloches, toutes les cloches, sonnaient à la volée. Non, il faut faire le tour et entrer par la Porte Sainte, celle qui n'est ouverte que pour les années saintes, proclamées chaque fois que le 25 Juillet, fête de la Saint Jacques tombe un dimanche. Une indulgence plénière est accordée au pèlerin ces années-là à condition qu'il ait parcouru au moins cent cinquante kilomètres à pied, à cheval ou à bicyclette, ( On rencontre de plus en plus de cyclistes en V.T.T. , la tradition dut-elle être distordue à leur bénéfice ) ...
Bon, la voilà, la Porte-Sainte. Tu t'apprêtais à y pénétrer, puisqu'elle est réservée aux pèlerins, mais tu n'avais pas songé que les pèlerins sont nombreux ... Et qu'ils ne sont pas toujours ceux auxquels tu pensais : Il y a peu de marcheurs équipés comme toi de sacs à dos et de ponchos, mais il y a, en groupes constitués, tous les pèlerins en costumes et robes de ville ... Débarqués à Santiago la veille ou le matin-même, souvent âgés, souvent munis du bourdon et de la calebasse ...
_ "Ils prêtent à rire", dis-tu ? Pourquoi te réserverais-tu le titre de pèlerin : Ils ont fait ce qu'ils ont pu, sans doute ... Le bourdon et la calebasse achetés à la boutique du coin et brandis avec fierté ? ... Bien sûr, bien sûr ... Mais pourquoi leur ôterais-tu leur joie ? _ Il te faut en prendre ton parti : Tu n'es pas le seul à t'attribuer le statut du pèlerin. "
En tout cas, ils se sont chargés de te le faire comprendre ... Pas facile, de passer par la Porte-Sainte, ils font bloc et il te faut bien attendre.
... Bon, tu y es, dans la cathédrale de Santiago, tu y es avec ton sac sur le dos, tu as ton bâton à la main, ton poncho sur le dos. Tu es tout dégoulinant de pluie, tes pieds font des clapotis dans tes chaussures, tu as froid car tu es tout trempé ... Tu essaie d'y voir quelque chose ... Mais tu ne verras rien : La nef est remplie, archi-pleine : Il a dû en arriver, des autobus et des avions ! Qui plus est, aujourd'hui, en pèlerinage _ Pas à pied, bien sûr ! _ L'Archevêque reçoit l'héritier du trône du Brésil et sa famille ... C'est plein de Brésiliens ! ... Tu as réussi à poser ton sac et à ôter ton poncho, tu les as déposés à terre dans la travée ... La nef de la cathédrale de Santiago, l'autel, les retables ... C'est ce que tu en attendais ?
_ Tu n'en sauras rien pour cette fois :
La foule t'a irrémédiablement relégué derrière un pilier. Tout juste apercevras-tu, en longue file, la trentaine de concélébrants, dont l'un est vêtu de noir. Grandes orgues. Tout le monde est debout, les bourdons tout neufs et les calebasses sont levés. Tu piétines un peu sur place pour tenter de te réchauffer ...
Déçu ? _ Qu'espérais-tu ? _ Aurais-tu voulu que les trompettes sonnent à ton arrivée sur la place de l'Obradoiro? ... Parce que les seuls vrais pèlerins sont ceux qui ont marché à pied, sur huit cent kilomètres au moins ? ... Aurais-tu voulu que l'entrée par la Porte-Sainte te fût réservée ? _ Aurais-tu pensé qu'une place serait réservée pour toi sur un banc ?
J'ai envie de te consoler, mais j'ai aussi envie de t'aider : Tout ce long trajet, toutes ces rues monotones, ces murs gris, toute cette pluie, toute cette solitude te feront-ils prendre conscience que ce que tu as accompli en marchant depuis des semaines et des semaines, toute cette sueur, tous ces efforts, toutes ces douleurs, toutes ces questions que tu t'es posées ... Tout cela ne fait pas de toi un être particulier : Il n'y a pas de statut du pèlerin ...
En tout cas, le pèlerinage n'est qu'un moment dans une vie, ce qui fait qu'être pèlerin n'est pas un état, ce ne peut être qu'un moment.Ce moment finit ici, à Compostelle et te voilà redevenu semblable aux autres : Ce qu'au fond, tu n'as jamais cessé d'être. Tu n' es pas un champion, tu n'as pas accompli un exploit sportif. Ce que tu as fait, tu l'as voulu ... Tu l'as fait ... A toi de considérer si c'est bien ou si c'est mal, mais ici, à Compostelle ...
Ici finit le Chemin, ici finit le pèlerin. Si tu veux savoir à quoi ressemble vraiment la cathédrale, il te faudra revenir à une heure de moindre affluence ... Une autre messe sera dite à dix huit heures, tu pourras peut-être y assister et sans doute plus facilement t'y recueillir.
_ " Attends ... Ne t'en vas pas encore ... La messe est presque finie, on va balancer le "botafumeiro", l'encensoir géant en argent massif ... "
_ " Je sais, je sais : huit hommes, que l'on appelle en Galicien les "tiraboleiros", en tirant vigoureusement sur les cordes font virevolter l'encensoir ... Qu'ils le balancent ... moi, je vais au bureau d'accueil des pèlerins pour me faire délivrer la "Compostella", le document qui, selon une très ancienne tradition, atteste l'authenticité de mon pèlerinage ..."
... _ Et qu'espérais-tu, là encore ? ... Tu as toujours les pieds mouillés, tu traînes encore ton sac et ton poncho. Il pleut toujours. Au rez-de-chaussée d'un imposant immeuble, derrière un comptoir, une jeune fille vend des médailles ... Derrière un autre comptoir une autre jeune fille, représentant une agence de voyage, tente de trouver une chambre d'hôtel à ceux qui en désirent, essaie, en conversant au téléphone, d'obtenir des billets de chemin de fer pour ceux qui en veulent, se démène pour donner les renseignements qui lui sont demandés ...
_" Montez l'escalier : Le bureau d'accueil se trouve au premier étage." ... Elle parle Français, cette jeune fille. Elle parle Français et Anglais, peut-être d'autres langues encore ... Mais elle ne parle pas l'Allemand et son interlocuteur du moment trouve le moyen de s'en offusquer, avant de poursuivre la conversation en Anglais...
_ Bon, t'y voilà ... "Accueil des pèlerins ! "... Encore un comptoir de bois, très long ... Deux ou trois personnes derrière ce comptoir ... Présenter son "Credential" ... Les sceaux qu'on y a apposés aux différentes étapes font foi :
La "Compostella" n'est attribuée qu'à ceux qui ont parcouru au moins cent cinquante kilomètres ... Les cent cinquante derniers kilomètres ... Ce qui fait qu'on la refusera à un pèlerin qui a parcouru cinq cents kilomètres, au prix d'efforts incroyables ( Il avait une prothèse de hanche, était diabétique et ses pieds étaient en sang lorsqu'il a dû se faire hospitaliser, à Astorga. Il a dû terminer son pèlerinage en autobus et ne peut donc pas présenter les sceaux qui devaient être apposés dans la dernière partie du parcours ...
On fait la queue devant le comptoir.
_ " Pas un mot gentil, pas un compliment pour ce que nous avons accompli. Rien. De vrais bureaucrates fonctionnarisés ! "
_ Attends, attends un peu ! ... C'est vrai, leur préoccupation, c'est de vérifier les sceaux dans le "Credential". Après cela, ils saisissent dans une pile de feuilles un formulaire de la "Compostella" ... Papier jaune orné de coquilles et, dans un médaillon, l'effigie de Saint Jacques. La "Compostella est pré-imprimée ... Il n'y plus qu'à y inscrire ton prénom, latinisé et la date de ton arrivée à Santiago ... Le reste est écrit en Latin. Tu ne connais pas le latin, mais c'est signé par le "Secretatus Capitularis", alors c'est forcément beaucoup d'honneur que de recevoir cette attestation de pèlerinage ! ... Enfin, tu en ressentirais beaucoup plus d'honneur si la signature n'était pas, de façon si visible, apposée à l'aide d'un tampon de caoutchouc ... Si l'écriture manuscrite de ton nom était un peu plus soignée, si l'on t'offrait une pochette pour y placer la "Compostella" ... Tu n'as que ton sac à dos, comment faire pour ne pas chiffonner ce papier ? _ La seule solution que tu as, c'est de le plier, ce que tu fais la mort dans l'âme. Tu as toujours les pieds qui clapotent dans tes chaussures et tu redescends l'escalier de bois pour te rendre à ton hôtel ... Le pèlerinage, c'est fini !
*
Te voilà de retour sur la place de l'Obradoiro. Tu n'as plus ton sac sur le dos. Tu as laissé ton bâton à l'hôtel. Tu as changé de tenue car la chemise et le pantalon que tu portais pour marcher tournent dans une machine à laver. Tu as acheté des chaussures légères, pour remplacer les "botas" trempées que tu as bourrées de papier journal pour tenter de les sécher ... Curieuse impression : Pour une fois, tu as pris une douche sans craindre que l'eau chaude ne tarisse et pour une fois tu as laissé ton équipement. Pour un peu, tu te prendrais pour un "touriste". Tu as erré quelque peu sur la place, un peu perdu de te retrouver seul. Que cherchais-tu ?
_ En fait, tu cherchais, en tournant autour de la cathédrale : Place de l'Obradoiro, place de las Platerias, place de la Quintana, place du Paraiso ... Tu faisais mine d'admirer, ici les sculptures du Portique de la Gloire, là celles de la Porte Sainte puis celles de la Puerta de las Platerias ou du portail de la Azabacheria ... Tu prenais du recul, le dos au Palais de Rajoy, pour scruter la façade baroque construite au XVIII eme siècle et les deux tours que l'on dit "sveltes" et "élégantes". ... Tu t'es approché de l' "Hostal del Reyes Catolicos" sans oser y entrer:
... N'y pénétraient que des gens bien habillés, issus de limousines dont les chasseurs aux vestes chamarrées retenaient les portières ... Ce que tu cherchais, sans peut-être te l'avouer ? _ Tu l'as compris sans doute au moment où un petit groupe de pèlerins arrivait au centre de la grande place : Un grand diable en culottes courtes, sac sur le dos, poncho et chapeau de paille à larges bords qui saute à pieds joints en lançant les bras vers le ciel. Il hurle ... De joie ? ...
Tu cherches encore la compagnie des pèlerins : Ceux-là, tu les as croisés plusieurs fois sur le Chemin, tu sais qui ils sont ... Et donc tu sais qui tu es ... Le grand diable te serre dans ses bras, quand il te reconnaît : Tu n'es donc pas un "touriste" ... Tu es bien pèlerin ... Pour quelques minutes encore ... Le temps que les nouveaux arrivants disparaissent à leur tour vers le bureau d'accueil ...
Un peu avant dix sept heures, tu entres dans la cathédrale, par le Portail de la Gloire, après avoir monté les marches de l'escalier monumental. L'entrée est un peu encombrée :
Des gens baisent la tête des anges de pierre ... Tu les as évités.
La nef centrale est immense, elle est flanquée de deux autres nefs et la coupole se situe à trente deux mètres au-dessus du transept. Il y a neuf chapelles, réparties tout autour, des confessionnaux de bois, un déambulatoire qui permet de faire le tour de l'autel. Il y a relativement peu de monde dans la cathédrale _ Rien à voir avec les foules de la messe des pèlerins, à midi ! Un léger mouvement se fait. Tu le suis. Hommes et femmes passant la Porte sainte effleurent de leurs doigts, au pilier de gauche et à celui de droite, deux croix gravées en creux dans la pierre quelque peu noircie par ces contacts répétés. Tu accomplis le rite sans en connaître la signification. Tu contemples les statues, les dorures, les moulures, les colonnettes, les peintures, les stucs, les émaux et les pierreries ... Trop ! ... Trop, répétais-tu en passant sous les galeries de la nef centrale, dite "triforium" ... Le mouvement te conduit sans que tu t'en aperçoives au pied d'un petit escalier, derrière le maître-autel. Tu montes les marches comme les autres, après les autres. Et, après les autres depuis des siècles et des siècles, tu passes tes deux bras autour du cou de la statue de l'apôtre, recouverte d'argent et de pierreries ... Tu te souviens alors avoir lu quelque part quelque chose à propos de ce rite : Embrassant la statue de Saint Jacques par le cou, il faut prier pour ceux que l'on aime ... Juste à côté, un frère mineur, robe de bure brune, distribue des images pieuses et montre le tronc aux oboles.
Passe et redescends par l'autre escalier ... Fais place au suivant ... Qui passera lui-aussi les bras autour du cou de la statue ... Tu t'es plié au rite : Tu t'es dit enfin que tu n'étais pas différent des autres et que ta longue marche ne te donnait pas l'autorisation de te distinguer ... Depuis des siècles, les pèlerins et les visiteurs ont embrassé la statue de Saint-Jacques _ Toi qui a voulu placer tes pas dans les pas des autres, tout au long du Chemin millénaire, à quel statut particulier, étranger à ta démarche, prétendrais-tu ?
_ Tu y crois, toi, à cette histoire ? ... Saint Jacques a été décapité en Palestine sur ordre du roi Hérode Agrippa 1er en 42 après Jésus Christ. Son corps a été jeté par-dessus les remparts pour être donné en pâture aux chiens et aux rats. Ses compagnons, Athénase et Théodore recueillent sa dépouille, la déposent au fond d'une barque. Ils passent le détroit de Gibraltar. Ils arrivent en Galice, à Pardon, sur la côte la plus occidentale de l'Europe. Ils enterrent le corps du Saint non loin de là. Ce n'est qu'en 810 qu'une mystérieuse étoile guide l'évêque Théodomir et l'ermite Pélagius jusqu'à l'endroit où repose le sarcophage, dans un champ qu'on appellera le "Champ de l'Étoile" ou "Compostellae".
Bien peu nombreux sont ceux qui, de nos jours, accordent foi à ce qui n'est sans doute qu'une légende. Mais qu'importe, après tout ... Les légendes ne contiennent-elles pas la plupart des mythes dont l'homme a besoin ? Tu marches vers Santiago, tu marches vers quoi ?
*
Un pèlerin Suisse dont la démarche peut surprendre ... Mais après tout, n'est-ce pas un peu la tienne ? _ Il a trente cinq ans à peu près. Il était instituteur mais il a fait prendre un virage à sa vie le jour où il a décidé de devenir Pasteur. Il a terminé ses études de théologie ...
_"Que vient faire un Pasteur protestant sur le Chemin de Compostelle ? "
_ " Bien sûr, je ne crois pas à toutes ces invocations des saints, que mon église récuse. Tous ces retables dorés, toutes ces châsses argentées, ces statues polychromes, toutes ces peintures, tous ces cénotaphes n'ont pour moi de signification qu'en tant que témoins du passé et en tant qu'oeuvres d'art. Mais le Chemin, c'est autre chose. Je sais que, maintenant que j'ai terminé mes études, mon ministère ne va plus me laisser beaucoup de temps libre. Je profite de celui que j'ai en ce moment, avant de recevoir une charge, pour accomplir une démarche que je pense religieuse et spirituelle. Le Chemin, c'est tout de même quelque chose dans l'histoire de l'homme ! Et puis, si je ne crois pas aux saints, il n'en reste pas moins que Jacques est un apôtre, l'un des plus grands parmi les apôtres ... Son corps est-il vraiment à Compostelle ? _ Finalement, en quoi la réponse à cette question est-elle importante? "
Au bout du compte, tous ces rites accomplis, effleurer les croix sur les chambranles d'une porte, baiser la tête des anges de pierre, embrasser la statue de Saint-Jacques en la tenant par le cou, placer ses doigts sur l'empreinte gravée dans le marbre par le contact des mains de millions d'hommes et de femmes qui ont marché avant toi vers cette cathédrale ...
Tu n'es pas différent des autres ... Le reconnaître et se plier aux rites, c'est se reconnaître dans la cohorte de l'humanité. Cette cohorte, elle demeure la tienne, malgré les ans et les lustres qui ont passé et qui passeront encore. Tu en fais partie, quelle que soit la diversité des pays d'où viennent les pèlerins et les nations auxquelles ils appartiennent. Tu en fais partie à condition de le vouloir, de t'y accorder, de te plier aux rites ... C'est à ce prix que tu retrouveras les repères que tu avais perdus. Ne me dis surtout pas que tu en perdrais ta liberté d'esprit !
*
A l'époque où tu as marché sur les chemins de Compostelle, les pèlerins étaient surtout des retraités. Cet été, ce seront en grande majorité des étudiants qui marcheront. On comprend que les étudiants marchent l'été, parce que c'est la saison de leurs vacances ... Plaignons-les, peut-être, de ne pouvoir marcher sur les interminables chemins de Castille y Léon que lorsque le soleil y est le plus fort, mais il est vrai que leurs chansons les portent ... Quant aux retraités, ils marchent au printemps : avril et mai surtout, pour éviter l'engorgement des gîtes et les groupes parfois bruyants sur le chemin ... Ils n'éviteront pas toujours les neiges tardives, les orages, les pluies, le vent : Dieu qu'elle est longue, l'étape qui conduit de Belorado à San Juan de Ortega, par un haut plateau dont les forêts de chênes n'ont pas encore retrouvé leurs feuilles, un haut plateau sur lequel ne se rencontrent pas un village, pas une maison !
Pourquoi rencontre-t-on tant de retraités sur Le Chemin ? _ Ils sont parvenus à un moment où, souvent, la voie ne leur apparaît plus très claire. Ils ont eu une carrière bien définie, qu'ils ont bien remplie : On rencontre des médecins, des ingénieurs, des fonctionnaires ou d'anciens officiers : La plupart du temps, il s'agit de cadres ou d'hommes ayant eu des professions libérales. Souvent, ils ne savent plus très bien, et cela depuis longtemps, quelles sont leurs relations avec Dieu _ Ont-ils eu vraiment le temps d'y songer ? _ Mais ils ont conservé des souvenirs d' enfance ... Et puis voilà, le monde a changé ...
L'activité professionnelle a pris fin ... Il en était temps parfois, tant son exercice s'est modifié ! ... La technologie a tout changé ... Les valeurs morales ne sont plus ce qu'elles étaient, dans des sociétés profondément bouleversées ... Les valeurs sociales et politiques se sont souvent renversées ... La famille même, dernier refuge où l'on croyait retrouver la sécurité ...
Le monde ne parle plus que de loisirs. Le travail qui a été une raison de vivre n'apparaît plus comme une valeur. Quant aux causes transcendantales : La Patrie, la Nation, elles se diluent dans le culte humanitaire au sens le plus large. Ceux dont les repères s'effacent se sentent exclus, dépassés, perdus. Ils voudraient bien retrouver des raisons de vivre, reconnaître un chemin, une voie à suivre. Il leur paraît qu'ils vivent une rupture,
_ " Mes enfants, certaines choses, certaines valeurs se sont transmises de génération en génération ... Nous avons essayé de vous les transmettre à notre tour ... Nous avons échoué ... Tout s'arrête là et nous avons le sentiment que rien ne sera jamais plus comme avant ..."
Faut-il s'étonner que ceux-là cherchent un chemin? ... Il leur semble sans doute naturel de prendre Le Chemin... Ce chemin qui vient de la nuit des temps, ce chemin qui vient des quatre points cardinaux ... Ce chemin qui est consacré "Itinéraire Culturel Européen" , remis en état grâce au concours de l'U.N.E.S.C.O. et que la coquille sur les bornes rend parfaitement identifiable ...
Beaucoup de ces pèlerins expriment assez mal leur attente, parce qu'ils l' identifient assez mal, mais il est remarquable que presque tous assistent à la messe, chaque fois que l'occasion leur en est donnée ... Au moins dans la Collégiale de Roncevaux, où la bénédiction leur est donnée, tous les soirs à vingt heures et dans l'église de Puente la Reina où se rejoignent les chemins venant de Saint-Jean-Pied-de-Port et celui venant du Somport ... Bénédictions au cérémonial séculaire ... Comme on pouvait en voir autrefois, avec toute une kyrielle de concélébrants, des soutanes, des chasubles, des étoles, des encensoirs, des sonnettes, des ostensoirs _ "Comme cela se faisait chez nous autrefois, avant le Concile de Vatican III" ...
La langue espagnole ressemble beaucoup à la langue latine, qui était autrefois celle de la chrétienté. Les chants sont entonnés sur les mêmes airs que ceux que l'on a appris autrefois. Les fidèles sont nombreux dans les églises et affichent leur foi sans complexe ... Le temps d'un pèlerinage, temps des repères retrouvés. Le temps d'un pèlerinage, temps des valeurs retrouvées : Compagnonnage, solidarité envers ceux dont la charge est trop lourde ... Charge du sac à dos, certes, mais aussi, et bien vite, charge des inquiétudes personnelles, des craintes, des regrets : On parle, tout au long du Chemin et nul ne saura pourquoi, kilomètre après kilomètre, le chemin enseigne à parler, enseigne à aussi à écouter ...
Chemins de Navarre, grimpant les collines vers des bastides irréelles, parmi les torrents, les crocus et les violettes, chemins de la Rioja qui serpentent dans le thym et le romarin, parmi les vignes et les oliviers, chemins de la Castille, caillouteux, rouges, rectilignes dans un paysage plat de champs de blé sans horizon, chemins de Palencia et du Léon traversant des villages en ruines superbes et magnifiques dans leur délabrement, chemins ardus escaladant les monts du Cebreiro, chemins charmants de la Galice, bordés de genêts, de bruyères, de rhododendrons et de camélias ...
Bâtisses superbes aux façades ornées des mêmes blasons qui ornaient autrefois les poupes des vaisseaux sur les voies des Amériques, bâtisses aux mur d'adobe déliquescents à force de pluie et de vent, murs de moellons, tours, clochers habités de cigognes, ermitages, monastères anciens, fontaines, églises, cimetières, lieux déserts autrefois habités, ponts, chaussées, anciens gués, vaches, moutons et leurs bergers, chiens ... Ah ! La Sierra del Perdon dans le haut de laquelle tournent quarante éoliennes, élégants moulins d'acier qui froissent la soie du temps ...
Ah! Le panorama que l'on découvre de là-haut sur le site de Pampelune, ville de Pompée, cathédrale où furent sacrés les Rois de Navarre, citadelle à la Vauban ! ... Ah! l'autre panorama, découvert dans une éclaircie, du haut du dernier rebord du plateau caillouteux, en venant de San Juan de Ortega : C'est toute la ville de Burgos qui se dévoile, grandiose cathédrale, sans doute la plus célèbre et la plus belle d'Espagne !
... Ah! L'ouverture sur les monts, du haut du Cebreiro, à l'endroit où se découvre la Galice ! Malgré les intempéries, découvertes splendides ... Et même les plateaux si monotones ... Mers de céréales traversées par des canaux et des tuyaux d'irrigation, mers propices à la méditation et au retour sur soi, mers infinies sur lesquelles pas un détail ne tranche à côté de l'autre ... Ah! Le long chemin entre Sahagun et Mansilla de las Mulas!
*
" Chapelet, pèlerinage, vénération des reliques, stigmates, suaire, adoration du corps du Christ, autant de pratiques nées ... au Moyen-Age ! A l'époque des grandes pestes, des guerres, de la peur. Au moment où allait surgir un monde nouveau. Un peu comme aujourd'hui, n'est-ce pas ? "
_"Alors, Nathanaël, ringard, le pèlerinage à Compostelle, sans valeur ?
_" Tu as rencontré des pèlerins qui marchaient en égrenant leur chapelet _ Peu nombreux, il est vrai, mais il y en avait au moins un, qui marchait très fort d'ailleurs. Il ne faudrait pourtant pas te croire autorisé à tout mélanger et à tout ranger dans la catégorie des superstitions _ D'abord, si la comparaison des époques semble judicieuse, il peut paraître hasardeux de se gausser de certaines pratiques sous prétexte qu'elles remonteraient au Moyen-Age !
_ Nombre d'autres choses, dans notre bagage culturel remontent au Moyen-Age sans être pour cela disqualifiées. Le Modernisme est chose étrange, quand il se voudrait surgi du néant, faisant table rase de tout ce qui l'a précédé _ C'est bien là l'une des causes essentielles de cette perte de repères dont nous parlions. On ajoutera, et c'est l'essentiel en la matière, qu'il est fort douteux que beaucoup de pèlerins de cette fin de siècle attendent quelque miracle de leur démarche : La poule rôtie puis ressuscitée, le pendu-dépendu, tels qu'on les commémore à Santo Domingo de la Calzada, on en sait l'histoire, qui demeure et mérite de demeurer en tant que témoignage ... Il est peu probable que le pèlerinage, de nos jours, ait exactement la même signification qu'aux temps anciens.
Certains en font une prière. J'ai bien connu quelqu'un qui marchait pour demander à Dieu le retour à la santé d'un petit enfant myopathe ... Personnellement, je ne suis pas très sûr que Dieu ait besoin que l'on marche sur les chemins de Compostelle pour s'intéresser à un petit enfant myopathe ... Mais qui reprochera à un grand-père d'essayer d'entrer ainsi en communion avec Dieu alors qu'il n'a rien obtenu de la médecine ? D'autant, que, et c'est là parole que j'admire, ce grand-père, Allemand du Nord, ajoutait :
_" De toute façon, et avant tout, je marche vers Compostelle parce que j'ai soixante sept ans. J'entre donc dans la dernière période de mon existence. Je veux remercier Dieu de tout ce qu'il m'a offert pendant ma vie. "
_ "Ringard, Nathanaël ?... Ringard ? ... Réponses d'un autre temps à des problèmes existentiels actuels ?
_ "Nous avons actuellement d'autres moyens _ Il faut se baser sur la raison, là où le pèlerin cherche à toucher par l'émotion."
_ "La Raison ... Vraiment ... La Raison ? Ne soyons pas cruels !"
Le pèlerin ne réclame pas le retour au passé. Il ne cherche pas, ce serait puéril, vain et inefficace, à ressusciter les repères perdus de son enfance ... Il demande des repères nouveaux, mais il demande des repères là où le siècle ne lui en propose plus.
Il demande qu'on lui indique une voie clairement balisée et qui conduise à un objectif clairement défini, cohérent ... Ce que sa marche exprime, c'est son besoin de clarté et de solidité, là où l'on ne lui montre plus que des incertitudes. Dans un monde de mieux en mieux connu, mais de plus en plus incohérent, disloqué, l'homme a besoin de savoir ce qu'il est, d'où il vient, où il va ... L'interrogation existe depuis toujours ... Les réponses semblent de plus en plus improbables ou formulées de telle façon qu'on ne s'y reconnaît plus.
Jan est Hollandais, (il y a beaucoup de Hollandais sur le Chemin ....) Il est apparu à la porte du refuge de Portomarin, je crois ... Il n'allait pas à Compostelle ... Pas cette fois-ci du moins, car il y était allé déjà trois fois. C'est un grand gaillard d'une soixantaine d'années, solide, habillé comme un chasseur. Il nous rejoint après avoir suivi la "Route de la Plata", partant de Séville ...
" Dure, dure route, aux très longues étapes, disait- il, sur un chemin désespérément rectiligne et désert :
_ " Sur sept cents kilomètres, je n'ai rencontré que trois pèlerins ... "
Il nous a quittés à la Croix-de-Fer, au point le plus élevé du parcours. Nous y étions arrivés sous la pluie, partis de Rabanal del Camino. Nous étions las. Aucun panorama. Nous avions traversé Foncebadon, village vide. Où était la Croix-de-Fer ? Elle nous est apparue telle que nous l'attendions : Une longue perche de bois toute tordue surmontée d'une croix de fer tout aussi tordue ...
Dérisoire ? _ Emblématique ... Tout un symbole ! La Croix-de-Fer surmonte un énorme tas de cailloux, gros et petits ... Au cours des âges, chacun de ces cailloux a été déposé par un pèlerin qui l'avait apporté de chez lui. Jan, le Hollandais a été chargé par un groupe d'amis de déposer là trente deux petites coquilles, autant qu'il y a de personnes dans le groupe d'amis... Le questionner pour en savoir plus sur les motivations profondes des uns et des autres aurait été indiscret sans doute ...
Mais il faut savoir que ce que le pèlerin dépose là, l'ayant apporté de chez lui, c'est le lot de ses soucis, de ses problèmes, des difficultés qu'il a connus ... Tout ce qu'il était avant d'arriver jusque là ! ...A la Croix-de-Fer, le pèlerin fait peau neuve, se défait de son passé et repart vers un autre avenir, riche de ce que le Chemin lui a apporté.
C'est donc une démarche qui s'oriente vers l'avenir et non pas vers le passé. Le pèlerinage, ce n'est pas la visite à la cathédrale de Santiago, c'est le Chemin lui-même ... Et le Chemin ne s'arrête pas à Santiago, il n'a pas de fin ... C'est un personnage neuf qui suivra l'étoile et cette étoile l'accompagnera durant toute sa vie nouvelle ...
Où est la "ringardise" ? _ il n'est peut-être pas innocent de constater, je l'ai déjà dit, que ces pèlerins, rencontrés au mois d'avril, sont pour la plupart des ingénieurs, des médecins, des cadres ... Il y a là démarche avertie ... On est loin d'un pèlerinage de gueux !
J'ai rencontré des Français en grand nombre, des Anglais, des Hollandais, des Allemands, un Norvégien, un Suédois, et j'ai pensé que c'était l' Union de l'Europe qui réussissait, d'autant que les deux derniers étaient de hauts-fonctionnaires au Conseil de Bruxelles ... Mais aussi une Japonaise, des Brésiliens, des Argentins...
Tu as déposé ton caillou blanc, "Nathanaël" ...Va droit devant !
*
Tout le reste est anecdote. Mais peut-on taire l'anecdote ? Nous avons parlé des "pèlerins-charters", débarquant des autobus et des avions ... Comment ne pas évoquer les "pèlerins-boys-scouts" ?
Nous sommes à Portomarin, ville neuve reconstruite au flanc de la colline, puisque l'ancienne ville est submergée par les flots du lac d'un barrage de retenue ... L'église, qui est fortifiée, a été démontée pierre à pierre et reconstruite à l'endroit où on peut la voir de nos jours.
Jolie ville ... Nous ne l'oublierons certes jamais, pour y avoir subi, au soir de notre arrivée, le plus bel orage de notre vie : Les éclairs étaient partout dans le ciel, le tonnerre roulait comme au Golgotha, la grêle tombait si dru qu'en une demi-heure elle formait à terre une couche de trente centimètres; la vigne que nous avions en face de nous paraissait un champ de neige ... Il n'y a pas de poncho qui tienne devant pareilles intempéries : Nous étions trempés.
Le lendemain matin, nous sortons du gîte. Il est sept heures et demie. Nous allons dans un bar ( Il est assez exceptionnel d'en trouver un qui soit ouvert ...). Nous prenons un petit déjeuner ...
_"Café con léché ... grande ! "
Nous ressortons sur la place dont les pavés sont mouillés encore ... Trois autobus y déboulent, l'un derrière l'autre, autobus de grand tourisme, avec plancher surélevé et vastes caissons à bagages. Autobus espagnols, immatriculés dans la province de la Corogne ... Débarquent ... Combien ? ... Deux cents personnes ... Plus ? ... Hommes et femmes, et même des enfants. Rires, chants, verbe haut ... Apostrophes, discussions. Chacun porte un tout petit sac à dos ... Juste pour y mettre une bouteille d'eau et un mouchoir. On s'arme d'un bourdon, dont l'extrémité forme une croix. Et voilà tout ce monde parti sur le "Camino" ... Marchant deux par deux ou trois par trois, à grand bruit. Le pauvre pèlerin qui se trouve là est rattrapé, enveloppé, dépassé, assourdi, abassourdi ...
_ " Nous nous retrouvons tous les dimanches. Nous marchons un peu ensemble puis un repas en commun nous réunit. "
Cela n'empêche pas de brandir les croix des bourdons ... On a fait huit à neuf kilomètres ... Les autobus attendent en un lieu convenu. On aura marché pendant environ deux heures ... Tout le monde grimpe dans les autobus et tout le monde s'en va ... Le pèlerin souffle et respire : Le calme est revenu.
Tu critiques, Nathanaël ? ... Et moi je te réponds que j'aime mieux rencontrer ces gens ici, jeunes et vieux réunis, que
de les savoir en d'autres lieux où l'on boit, où l'on se drogue ... Peut-être est-ce leur façon de rechercher l'étoile ? Tout pèlerin a rencontré de ces bandes-là. Tout pèlerin, avant que de s'en moquer ou de s'en plaindre devra réfléchir aux raisons qui font se retrouver ces gens, précisément sur le Chemin et non pas ailleurs.
Bien sûr tu n'a pas oublié non plus ... Tiens, coincidence ... c'est aussi à partir de Portomarin que nous les avons rencontrées ... Tu n'a pas oublié ...
Nous montions la côte après avoir passé le pont, nous partions en direction de Palas-de-Rei ( où il n'y a pas du tout de Palais du Roi ...) ... Un homme arrive en sens inverse ... Plaisanterie :
_" Vous revenez de Santiago ? "
Il nous répond en Espagnol :
_" Non, je reviens en arrière pour chercher mes femmes ! "
C'est le chauffeur de la voiture : Il était parti en avant avec les bagages de ces dames ( elles sont cinq ) puis il laisse l'automobile sur le bord de la chaussée et revient sur ses pas pour rejoindre ses passagères, afin les encourager. Lorsque tout le groupe a rejoint la voiture, on se repose un peu, on boit, puis le chauffeur démarre seul et on recommence ainsi, par petites étapes, jusqu'au refuge.
_" C'est du tourisme, ce n'est pas un pèlerinage !"
Certains furent durs avec ces dames, espagnoles toutes les cinq ... Il est vrai que le chauffeur était très probablement appointé et jouait là le rôle du "G.O." du Club Méditerranée, en quelque sorte. Mais pourquoi se moquer ? Pourquoi leur contester le droit de coucher dans les gîtes ? On peut ne pas apprécier le manque le franchise avec lequel elles récupéraient leurs sacs à dos avant d'atteindre le gîte, pour laisser croire qu'elles avaient marché dans les mêmes conditions que les autres ...
Mais après tout, celui qui marche en se faisant accompagner par un âne portant les sacs, celui-là est-il dans des conditions si différentes ? Lui contestera-t-on le statut du pèlerin ? Après tout, ... Elles allaient bien à Santiago, pas ailleurs !
Contestataires, auriez-vous été jaloux de la lègèreté avec laquelle elle gambadaient, de l'aisance avec laquelle elles papotaient ?
Je dirai encore un mot du "routard" que nous avons rencontré à Ponferrada ... Gîte des plus mal aménagés sur le Chemin ... Gîte auquel on aboutit par une interminable marche sur le bord de la route, sous la pluie ce jour-là, évidemment et pour ne pas changer.
Un groupe de pèlerins français qui faisaient leur cuisine : inévitables pâtes à la sauce tomate ... Un vieil espagnol était là, barbe hirsute et cheveux longs, vêtements douteux ... Il mangeait un quignon de pain en regardant cuire les macaronis. Il m'a demandé si je n'avais pas quelques pesettas à lui donner pour acheter à manger. A vrai-dire, je m'attendais à trouver dans les gîtes beaucoup plus de routards et de mendiants ... Celui-ci est le seul que j'aie rencontré ...
Il est vrai que pour entrer dans les gîtes, il faut avoir le "credential" ... Mais est-il si difficile de l'obtenir ? ... Faute d'une prise en main par une autorité véritable, le "credential" est distribué par n'importe quelle association se réclamant de Saint Jacques ... Et puis je suis bien certain que les épouses qui, en camping-car, suivaient leurs maris pèlerins cyclistes, lorsqu'elles passèrent la nuit au refuge de Mansilla-de-las-Mulas, n'avaient pas de "credential" et leurs deux enfants encore moins ... Mais bah ! Qu'est-ce que celà peut bien faire, puisqu'il y avait de la place! ...
Évidemment, c'est peut-être différent aux mois d'été, lorsque les gîtes sont pris d'assaut ... Juin, juillet, août, ce sont les mois où les étudiants, les jeunes se retrouvent en bandes nombreuses et parfois bruyantes ... Je ne sais pas s'il s'agit exactement du même phénomène et des mêmes motivations mais ce dont je suis bien certain c'est que, pour les jeunes, suivre le Chemin est aussi exprimer une angoisse; c'est aussi chercher des repères, c'est toujours ... Chercher l'Étoile.
Je souhaite qu'aucun ne soit déçu, en arrivant à Santiago ... Que l'on reparte de là à pied, que l'on en reparte par le train, en autobus ou en avion ... C'est toujours après, si la possibilité de la réflexion vous est donnée, que vous découvrirez que vous avez changé : Ce n'est pas le sanctuaire qui vous a changé, c'est le Chemin! ...
" Buen Camino ! Buen viaje ! Ultreïa y suseïa ! "
Je ne vous conseille pas de suivre mon exemple. En mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf, j’ai pris le chemin de Compostelle à partir de Saint-Palais, au Pays basque. J’ai passé les Pyrénées au col de Roncevaux, en passant par Saint-Jean-Pied-de-Port. J’ai marché jusqu’à Compostelle. Cela m’a pris exactement un mois, du cinq avril au cinq mai.
En ce qui concerne le choix du moment, je pense qu’il était judicieux. Du reste, en l’an deux mille, j’ai persisté. Certes, il pleut assez souvent, en avril, mais la chaleur n’est jamais accablante. Les vacances de Pâques sont incluses dans cette période, donc, pendant huit à dix jours, on rencontre beaucoup de monde sur le chemin. Cela n’a rien de comparable aux foules de jeunes qui marchent pendant les mois d’été. Dans les gîtes d’étapes, au début du printemps, on trouve encore des places. Il ne m’est arrivé que deux fois d’être obligé de coucher à l’hôtel ou d’occuper une chambre d’hôtes. Il faut pourtant se méfier : Sur l’itinéraire français, les marcheurs ont, de plus en plus, pris l’habitude de réserver leur place dans les gîtes par téléphone ou par courrier. De plus, il arrive souvent qu’ils marchent par groupes constitués, se faisant suivre par des voitures qui portent leurs sacs et leur ravitaillement … Un seul de ces groupes, ayant retenu à l’avance, peut remplir un gîte. Lorsque vous arrivez à l’étape, fourbu, avec votre sac sur le dos, vous pouvez aller chercher ailleurs !
Je conseille de ne pas suivre mon exemple, en ce sens que j’ai commencé, la première année, par parcourir le chemin espagnol … La seconde année, j’ai emprunté le chemin français … J’ai ainsi pris les choses à l’envers. C’est, je crois, la cause essentielle du changement de nature de mes sensations. Mon itinéraire, la seconde fois, empruntait bien le chemin de Compostelle, mais il se terminait à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il ne conduisait pas à Saint Jacques. Je ne l’aurais pas cru, mais cela change tout. Disons que, cette année, sur la via Podensis, le sentiment de spiritualité n’était pas le même … Je n’ai pas senti le Chemin aussi « porteur ».
Il faut que je m’explique sur mes choix et ma démarche. Ils paraissent stupides au premier abord … Lorsque je me suis mis en marche pour la première fois, j’avais soixante-sept ans. Je m’étais bien entraîné pendant plusieurs mois, mais je n’avais jamais parcouru un aussi long trajet à pied. Je craignais de ne pas arriver jusqu’au bout et, par ailleurs, je me croyais fondé à penser que mon âge n’était pas garant de mes possibilités en ce qui concernait l’année suivante ! Je voulais absolument aller à Saint-Jacques. J’ai donné toutes ses chances à la réalisation de ce désir en commençant par l’itinéraire espagnol :
« Si je réussis, l’an prochain j’essayerai peut-être de faire le tronçon qui va me manquer … »
J’ai réussi. Aller à Saint-Jacques a été un grand bonheur pour moi. L’année suivante, je suis parti du Puy-en-Velay et je suis allé jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, ce qui m’a pris vingt-quatre jours en prenant le départ le premier avril.
Il est vrai, et je vais tenter de m’en expliquer, que les impressions, cette fois-ci, n’ont pas été du tout les mêmes. Je veux dire tout de suite ici que, néanmoins, pour la seconde fois, j’ai éprouvé beaucoup de joie sur le chemin de Saint-Jacques. Je vais maintenant vers mes soixante-neuf ans et, cette année, il est certain que, si Dieu m’en conserve les forces, je repartirai, début avril, sur les chemins de Saint-Jacques. Mais, cette fois, j’essaierai de prévoir mon itinéraire de telle façon qu’il aboutisse bien à Compostelle. C’est à cette condition que je me sentirai pèlerin plutôt que randonneur !
*
C’était un chien très élégant, à la robe d’un beau brun qui s’éclaircissait sous le ventre. Il avait aux pieds des chaussons noirs. À trotter ainsi d’un côté » et de l’autre, il parcourut au moins trois fois plus de kilomètres que moi. Je trouvais qu’il s’éloignait beaucoup de chez lui et je m’inquiétais.
- « Savez-vous à qui appartient ce chien ? »
Du haut de son tracteur, un cultivateur me répondit :
- « Ne vous inquiétez pas pour lui. Tout le monde le connaît. Tous les jours, autant que le Bon Dieu en fait, il suit les pèlerins. Mais il va s’arrêter au prochain village. Il reviendra ensuite chez lui. »
Si j’avais eu quelque illusion, je l’aurais perdue ici : Ce n’était pas moi que le chien attendait devant l’école, là où je l’avais rencontré. Je n’étais que le pèlerin que le hasard avait fait passer, sans doute, le premier ce matin-là. Comment affirmer que je n’étais pas un peu déçu ?
Comme je ne voulais en aucun cas être la cause de son égarement, trop loin de chez ses maîtres et comme je voulais encore moins qu’il puisse lui arriver un accident, je ne lui adressai même pas la parole. Je n’esquissai pas la moindre caresse. Je ne l’aurais pas pu, d’ailleurs, car il trottait au-devant, je l’ai dit, jamais à mon côté. Mais je savais bien que nous étions compagnons.
Nous passâmes le premier village. Je guettais du coin de l’œil, en faisa nt mine de ne pas le regarder. Le chien tourna entre deux maisons, puis il passa outre … Sans erreur aucune : C’était toujours le chemin de Compostelle qu’il suivait. Je pensai un peu au loup de Gobbio … Mais je ne suis pas Saint-François-d’Assise et je n’apprivoise ni les chiens ni les loups. Je me gardais toujours de lui adresser la parole … Et s’il lui prenait la fantaisie de m’accompagner pendant plusieurs jours ? … Que ferais-je d’un chien à mon arrivée au bout du chemin ? J’avais encore de la route à faire, car j’avais décidé de n’arrêter mon périple qu’au pied des Pyrénées, à Saint-Jean-Pied-de-Port.
- « Ne vous inquiétez pas. Il va vous abandonner dans peu de temps. Il n’ira pas plus loin que l’église du hameau prochain … »
C’était le même cultivateur que celui que j’avais rencontré tout à l’heure, toujours perché sur son tracteur. Il me dépassa et entreprit de monter la côte sur laquelle je peinais. Je ne suis pas un bon grimpeur. Tout en haut, le chien attendait, assis sur son arrière-train. Pour la première fois, il me parlait, et c’était bien à moi qu’il s’adressait :
- « Alors … Tu viens ? »
Il fut patient. Il m’attendait, mais au moment où j’allais le rejoindre, il disparut dans la haie. Je passai mon chemin … Je marchais toujours sans me retourner … Je finis bien par me retourner tout de même. Je croyais trouver le chemin vide … J’éprouvais déjà une sensation d’abandon … Comme un peu d’amertume … Et puis il reparut, émergeant d’un champ de blé. M’ayant dépassé largement, il s’arrêta, prit le temps de se rouler dans l’herbe mouillée, les quatre pattes en l’air, se tortillant pour se frotter le dos. Il reprit son trottinement. Nous passâmes encore devant plusieurs fermes, devant quelques hameaux, au milieu de quelques villages … Il me précédait encore lorsque j’arrivai en haut de la côte qui débouchait sur les premières maisons d’Arthez-de-Béarn. Je commençais à me demander si je ne devais pas le conduire jusqu’à la gendarmerie pour qu’il soit rendu à ses maîtres … Comment ne pas craindre pour lui alors qu’il s’était éloigné de plus de vingt-cinq kilomètres , marchant devant moi pendant près de six heures ? … En même temps, cette idée me donnait mauvaise conscience :
À la gendarmerie ? … Ce compagnon qui m’avait guidé si longtemps ? – Je me faisais un peu l’effet du traître qui livrerait son ange gardien … Car il avait été mon ange gardien et m’avait remis plusieurs fois sur le bon chemin alors que je cherchais mes marques. Il m’avait attendu en haut des côtes. Il s’était couché de l’autre côté de la route pendant que je mangeais mon morceau de fromage, assis sur une roche. Le museau entre les pattes, il était resté immobile tout le temps que mon repos avait duré. … Puis il était reparti en même temps que moi, sans rien demander …
Je n’eus pas à résoudre le problème … lorsque je touchai à la première maison, je m’aperçus tout à coup que le chemin était vide … Vide devant, vide derrière moi. J’attendis un instant. Mon compagnon avait disparu. À quel moment exact était-il parti ? Je ne devais plus le revoir …
Rencontrant un pèlerin qui était passé par là un jour plus tard :
- « C’est incroyable, me dit-il, J’ai rencontré un chien qui a marché avec moi toute une journée … »
Marches-tu encore, compagnon auquel je me suis bien gardé de donner un nom ? – J’aime à croire que tu marches … Peut-être t’es-tu décidé à poursuivre jusqu’à Saint-Jacques ? Ou bien ton rôle est de guider, chaque jour, le pèlerin qui passe d’Arzacq-Arraziguet à Arthez-de-Béarn ? … Car tu as bien un rôle, n’est-ce pas , et je ne t’ai pas tout à fait rencontré par hasard ? ..
Nathanaël, tu rencontreras l’apôtre Saint Jacques tout au long de ton périple. Il prête son n om à beaucoup d’églises majeures, dans un grand nombre de villes. Sa statue figure ici et là, sous les voûtes romanes et sur les calvaires des chemins. Ses attributs sont gravés dans la pierre dure de la Margeride, dans le calcaire tendre des Causses, dans le grès et dans le schiste … Les coquilles découvertes ici ou là, gravées sur les frontons ou sur les murs, parfois loin de tout chemin balisé, attestent la multitude des itinéraires que les pèlerins ont suivis depuis les alentours de l’an mille : Rue Saint Jacques, Rue Compostelle … Tu mets tes pas dans ceux des Jacquets. Plus loin, en terre d’Espagne, Saint Jacques prend le nom de Sant Iago … C’est vers santiago que tu marches, vers Santiago de Compostella. Aux alentours de l’an huit cent treize, la sépulture de l’apôtre est découverte dans le « Champ des Étoiles ». Selon la tradition, l’ermite Pelayo, instruit par un songe, aurait identifié l’endroit grâce à des lueurs dans la nuit … « Campus stellarum » - le « Champ des Étoiles ».
L’abondance des signes jacquaires ne te surprendra pas : Tu es sur le chemin de saint Jacques. Ce qui te surprendra plus, peut-être, ce sont les références à saint Roch, dont la fréquence est continue … C’est incroyable, le nombre de chapelles de saint Roch que l’on rencontre ! … Tu sors de Conques … Il te faut passer un pont romain, puis grimper, grimper une pente raide, par le fond d’un petit torrent caillouteux, entre des buissons et des arbres serrés. Tu émerges du noir ravin, tu trouves une chapelle dédiée à sainte Foy … C’est bien le moindre, puisque ce sont les reliques de sainte Foy qui ont fait la gloire de l’abbaye de Conques … Mais un peu plus loin, sur le bord de la route, tu trouves une seconde chapelle … Lorsque je suis passé par là, des bénévoles du village voisin travaillaient à sa restauration … Elle conserve des traces d’ouvertures romanes.
- « C’est la chapelle de Saint Roch, nous a dit un maçon. Nous ne voulons pas la voir tomber. Nous tenons à notre patrimoine ! »
Mais tu en as rencontré bien d’autres, Nathanaël , dédiées au même saint patron, et tu en rencontreras bien d’autres encore. Dans de nombreuses églises, tu verras des statues : Saint Roch et son chien, jamais l’un sans l’autre. Saint Roch est le patron des pèlerins Il fut lui-même, au quatorzième siècle, un grand pèlerin. Ses statues le représentent toujours avec le bas de sa robe relevé : Il montre la plaie de sa jambe. On l’invoquait contre la peste et les maladies contagieuses. En tout cas, lorsque tu rencontreras Saint Roch … Chapelle de Saint Roch ou statue de Saint Roch …. Tu peux être certain que tu te trouves bien sur le chemin de Compostelle … À moins que tu ne sois sur le chemin des « Romieux » … Ceux qui pérégrinaient en direction de Rome et du tombeau de saint Pierre …
Mais dis-moi, toi que voilà … Dis-moi quelle est ta plaie, que tu caches.
J’étais arrivé au Puy dans la soirée. Je m’étais installé chez les sœurs de saint François, dans la cité épiscopale, derrière la cathédrale. J’avais prévu de rester là pendant la journée du lendemain, car je voulais visiter la ville. Mais, au moment où je regagnai ma chambre j’avais déjà pas mal arpenté les ruelles et les raides escaliers qui s’entortillent autour de la cathédrale. J’avais repéré la rue Raphaël, la place du Plot, la rue Saint Jacques et la rue de Compostelle … Qui monte rudement ! J’avais vu la statue de Notre Dame de France, perchée sur le rocher Corneille, qui surplombe le couvent des sœurs. J’avais contemplé la chapelle Saint Michel d’Aiguilhe, juchée sur son piton de lave depuis le dixième siècle puisqu’elle a été bâtie par Godescalc, évêque du Puy, lequel, en l’an neuf cent cinquante, entreprit le premier pèlerinage à Compostelle dont la relation nous soit connue.
La cathédrale du Puy est un grand vaisseau aux arcades romanes. Ses voûtes sont ornées d’une série de coupoles octogonales. Sur le maître-autel trône une statue la Vierge Noire. Elle remplace celle qui fut brûlée par les révolutionnaires de mille sept cent quatre-vingt quatorze. Le Puy-en-Velay est un sanctuaire marial très ancien. C’est sans doute pour cela qu’il draine depuis toujours les flux des pèlerins venant de Bourgogne et du Sud de l’Allemagne. J’avais vu la « Pierre des Fièvres », large pierre de lave noire et brillante, plate … Elle est censée guérir ceux qui s’y couchent. On dit que cette pierre serait un ancien dolmen christianisé au cinquième siècle par une apparition de la Vierge …
- « Tu y crois, toi, aux miracles de la « Pierre des Fièvres » ? … - « Crois-tu aux miracles ? »
Non … Bien sûr .. Tu n’y crois pas et, de ton long cheminement sur le chemin de Compostelle, tu n’attends pas autre chose qu’une occasion de méditation sur toi-même et sur le sens de ta vie … Ce serait un miracle déjà, que tu en reviennes en ayant affermi ta foi et reconnu le Dieu qui conduisait tes ancêtres. Mais, dis-moi … Pourquoi, de ton pied que tu dis douloureusement touché par l’arthrose, pourquoi as-tu frôlé la pierre de lave ? …
Je me couchai, enveloppé dans mon duvet, car il ne faisait pas chaud en ce début de printemps ; À ce moment-là une sœur introduisit dans la chambre un pèlerin que je n’avais jamais vu. Il allait occuper le second lit, à côté du mien. Il était chargé de tout un barda, coiffé d’un large chapeau de cow-boy en cuir, couvert d’une longue cape imperméable. Une gourde ronde gainée de cuir pendait à sa ceinture. Il brandissait un lourd bâton fait dans un manche de pioche ayant appartenu,à son grand-père. Je devais découvrir plus tard qu’il était équipé d’une boussole … Passe encore pour la boussole … Dont il ne se servit jamais ! … Il avait aussi un sifflet à roulette, pour appeler au secours en cas de chute ! Il possédait encore un énorme thermomètre à alcool qu’il devait, en chemin, sortir de temps en temps de je ne sais trop quelle poche pour annoncer bruyamment :
- « Il fait dix degrés ! » … Ou plus … Ou moins …
Nous n’échangeâmes que peu de mots sur le moment. Il m’apprit qu’il s’appelait Jack ( avec ck …), qu’il était arrivé par le train, venant de la Meurthe et Moselle, qu’il était employé dans un établissement public et qu’il avait pris deux mois de congés sans solde pour aller jusqu’à Santiago.
- « Ô, toi que voilà, dis-moi quelle est ta plaie que tu caches … Quelle est la douleur qui t’as jeté sur le chemin ? »
Je sus tout de suite que je ne suivrais pas le plan que j’avais prévu. Dès demain matin, je partirai avec celui-là. Il est le compagnon que le destin m’a choisi.
- « Toi que voilà, ne me dis rien de plus et, si tu préfères garder secrète ta douleur, je respecterai ton choix, n’ayant moi-même nullement envie de raconter mes peines. »
N’est-ce pas là le premier des « miracles » du chemin de Compostelle ? – Ce qui vous fait plus riche, de jour en jour, kilomètre après kilomètre , n’est-ce pas la rencontre de l’Autre ? … Rencontre rendue bien aléatoire par les trépidations de notre vie moderne … Mon compagnon était nerveux, semblait-il, assez agité, parlant beaucoup. Je n’aime guère bavasser … Je m’endormis assez vite. Au point du jour, Jack était debout. Il fut vite prêt à partir …
- « Alors, on y va ? »
Le voici surpris : je lui avais annoncé que je ne quitterais Le Puy que le jour suivant. Nous étions le premier avril. Il m’avait dit qu’il avait choisi cette date en manière de défi, de provocation.
Va pour le premier avril ! … Nous voici traversant la cathédrale, puis dévalant ses volées d’escaliers Nous nous engageons dans la rue des tables, puis nous contournons la « fontaine du choriste ».
Les trois premières étapes seront longues et dures : Les ravins sont nombreux, au fond desquels il faudra tenter de ne pas débouler trop vite. Je recommande de bien regarder où l’on met ses pieds en descendant de Rochegude au fond de la saignée de Monistrol d’Allier. Je recommande aussi de retenir ses pas au cours de l’étape suivante, qui conduit au domaine du « Sauvage » … Elle est longue, longue … Surtout lorsqu’on marche sous la pluie ! À vrai dire il faudrait, pour se mettre en jambes, commencer le parcours en faisant des étapes plus courtes.Après Aubrac, cela va mieux : Le rythme est pris et le chemin descend dans la vallée du Lot, splendide, par Saint Côme d’Olt, Espalion, Estaing…Sans doute les plus beaux paysages, les plus jolies villes, conservées, intactes, depuis le haut Moyen-Âge … Au début d’avril, les arbres n’ont pas encore de feuilles et les fleurs sont rares … Vous le regretterez … Mais consolez-vous : De jour en jour, chaque matin en vous mettant en chemin, vous aurez l’impression de marcher au-devant du printemps. Nous avons assez vite trouvé des lilas en fleurs, mais il aura fallu attendre l’arrivée à Moissac pour voir des feuillages aux branches. Nous nous sommes égayés aux buissons de buis. Nous avons arpenté le Rouergue, le Quercy caillouteux et désert, passant entre les chênes truffiers désespérés dans leur nudité grisâtre.
Tout à coup, et sans nous y attendre, nous voilà au cœur de Conques … Après avoir boitillé dans les galets d’un petit ru qui joue les torrents, entre deux haies de buissons cachant le ciel …
- « Où sommes-nous ? »
- « À Conques, pardi ! »
Par chance, nous sommes passés là un jour où il n’y avait que très peu de touristes. Il paraît que, certains jours, c’est insupportable ! Pour le lendemain, une fête folklorique est annoncée … Nous nous sommes sauvés très vite !
Conques est une incroyable agglomération, surgie d’un livre d’histoire accrochée en gradins au flanc d’un ravin profond. Maisons à colombages, murs de schiste, façades en encorbellement, toits pentus … De cet ensemble émergent les clochers de la basilique, la tour du château d’Humières avec ses fenêtres à Meneaux, la porte de Vinzelle p r où partaient ls pèlerins … Nous avons logé chez les frères de Prémontré, tout de blanc vêtus. Ils gèrent un gîte auquel il faut accorder trois étoiles, sans hésitation !
La basilique, bien sûr … Mais, de Conques j’ai d’abord conservé lz souvenir obsédant d’un arbre seulement, un arbre nu, un arbre en tenue d’hiver encore … Arbre antique, plusieurs fois centenaire, peut-être millénaire… Dans sa pleine vigueur en tout cas. Tronc noueux, écorce gercée, branches torses, loupes et cicatrices … Pourquoi les arbres antiques ont-ils toujours suscité méditation, culte souvent ? … Il y a en nous sans doute, quelques traces des cultes celtiques … Où bien ces cultes eux-mêmes traduisaient ce qu’il y a de plus profond en l’homme ?
Chêne ou frêne, hêtre ou châtaignier, l’arbre est tutélaire. Il découpe la lumière, il crée le paysage. Il a le temps pour lui. C’est le symbole du père. Il rassure, il abrite. Il chante dans le vent. Il est rempli d’oiseaux qu’il nourrit. Il est force, il est vie. Endormi pendant tout l’hiver, il ressuscite au printemps, plus fort, plus jeune, plus vif. L’arbre : symbole christologique ?
De la traversée de l’Aubrac, je conserve peu de souvenirs forestiers. Nous avons bien rencontré des mélèzes et des sapins avant d’attaquer la traversée des plateaux, mais ensuite nous avons marché au fond de sentiers creux, remplis d’eau. Nous avons, aux environs du « Moulin de la Folle », pataugé dans des sols spongieux. D’énormes blocs de granit, amassés au cours des âges, s’alignent en murs gris qui semblent infinis. Par endroits, ils paraissent les ruines de cités préhistoriques … Sur des kilomètres et des kilomètres, pas une maison et, en cette saison, pas une bête, pas un homme …
Nous passons Nasbinals, dont nous contournons la très belle église : murs de basalte brun, toits de schistes. Quitter ensuite la route goudronnée pour prendre un chemin bordé de hêtres nus … Mais de cela, je n’ai point trop souvenir … J’ai souvenir de la tempête de neige qui nous prend : Nous avons marché pendant des heures en courbant l’échine, en pataugeant dans l’eau que recouvrait mal la couche neigeuse. Nous pressions nos gants qui s’imbibaient d’eau. Je tombe … Chaque fois, mon compagnon m’aide à me relever : Il n’est pas si facile de se remettre debout, quand on porte sur le dos un sac de douze kilos ! … Les marques servant de balisage, pour la plupart, ont été peintes au sol, sur la roche. Elles sont recouvertes de neige. Nous longeons un alignement de hêtres, puis un long empilement de pierres qui forment mur … De hautes perches sont plantées ça et là , supportant des étiquettes dont les indications sont peu distinctes et confuses. Plusieurs chemins se mêlent. Le soir approche ;… Je n’aurais pas du tout aimé passer la nuit sur ce plateau ! Nous arrivons à l’étape et nous passons la nuit à l’hôtel, où nous sommes séchés et choyés. À Aubrac, il n’y a rien ou à peu près rien … Le gîte aménagé dans ce qu’on appelle la « Tour des Anglais » n’est ouvert qu’à partir du mois de mai parce qu’il n’est pas chauffé. Mais, souvenez-vous bien de cela : à l’hôtel « Le Royal », ouvert en toutes saisons, le Chef vous sert un excellent aligot !
Jack est plus jeune que moi. Il n’a que cinquante ans. Il est capable de marcher très longtemps, sa cadence est vive, sèche … D’habitude, il marche devant, à un bon kilomètre de moi, parfois plus. Il s’arrête de temps à autre et m’attend. C’est un excellent compagnon, discret, attentionné. Dans la traversée de l’Aubrac, nous allions de concert et ses encouragements soutenaient mes pas. Au fil des jours je comprenais mieux ses motivations pour ce pèlerinage : Il avait perdu successivement plusieurs membres de sa famille … Autant de chocs qui avaient déclenché une crise énergétique.
Au fond, c’était la rage qui le poussait, la rage et le besoin de se prouver qu’il était, lui, bien vivant et capable d’exprimer cette force, ce désir qu’il sentait naître en lui. Si je ne l’avais pas quelque peu bridé, il aurait couru beaucoup plus vite et il aurait brûlé les étapes. Il en était capable, je le vis bien lorsque nous nous aperçûmes, en arrivant à Durfort-La-Capelette, après Montcuq, que le gîte signalé par nos documents n’existait plus : Nous continuâmes jusqu’à Moissac et il marchait fort, longeant les platanes de la grand’route. Il avait marché très fort aussi, entre Vaylats et Montcuq.
Pour ma part, je ne passerai pas les cols conduisant à Roncevaux. Je les ai passés l’an dernier. Je suivrai, grâce aux communications téléphoniques relayées par son épouse, la progression de Jack en Espagne. Il accomplira certains jours des étapes ahurissantes de cinquante à cinquante-cinq kilomètres. Il fera le parcours des Pyrénées jusqu’à Santiago en vingt-deux ou vingt-trois jours !
- Mais … Quel intérêt peut-on trouver à marcher si vite ?
- Bonne question … Si le pèlerinage est une recherche spirituelle, peu importe au pèlerin la cadence de son pas. D’ailleurs, la pensée du marcheur s’exprime sur le rythme de la litanie … La litanie est répétitive et lente. Peu importent donc, dans ce contexte, les beautés du paysage, son éventuelle monotonie, sa diversité. La beauté, qui est une découverte de l’esprit naît de l’accord entre le corps, l’esprit et l’univers. Où est cet accord si la marche devient frénétique ? – Je sais bien que Jack n’est pas en retraite, lui … Je sais bien que la durée de son congé implique les limites du temps qui lui est disponible … Mais, sans conteste, Jack disposait de plus de temps que cela pour sa démarche …
- « Content, Jack ? »
- « Ô oui ! J’ai marché très fort et je suis heureux dans les grimpées montagnardes. Je m’ennuie, par contre, dans les longues lignes droites, là où le chemin s’élargit, sur le plateau de Castille … »
Heureux, Jack … Il s’est prouvé ce qu’il voulait se prouver. Il est allé à Santiago en un temps record, sans excessives fatigues, sans douleurs particulières.
Ah ! Le téléphone portable ! Pour un grand nombre de pèlerins, l’aventure est en train de changer de nature : Elle était détachement, coupure avec le quotidien, éloignement de la famille et des amis … C’était sans doute cet éloignement qui permettait de rentrer en soi, de faire le point, d’analyser son être au plus profond de lui-même, sans se regarder, pour une fois les miroirs des regards habituels … Le pèlerin équipé d’un téléphone portable n’est plus, là où il passe, l’étranger qu’il devrait être.
- « Bonjour, chérie. Je suis à quinze kilomètres de Saint Antoine. Il fait beau. Les nuages qui nous poursuivaient hier ont disparu complètement. Si tu savais comme le spectacle que nous avons sous les yeux est magnifique ! – Je vais essayer de te le décrire : devant nous, il y a une crête que nous avons presque atteinte. De là, nous découvrons pour la première fois la chaîne des Pyrénées … Les sommets sont couverts de neige … »
- « Bonsoir, mon petit. Tu diras à ta maman que tout va bien. Je voudrais qu’elle téléphone au cousin Bertrand pour lui dire que … »
- « Je suis à Saint-Jean-Le-Vieux. Nous ne sommes pas très loin de Saint-Jean-Pied-De-Port. Devant l’église du village, il y a une grande place, très belle. Il y a des réverbères. Ce sont les mêmes que ceux qui sont sur la place, devant chez nous : Tu sais, les réverbères qui sont fabriqués dans l’usine où travaille notre ami Julien ! »
Je ne critique pas. J’admets, même … Ce n’est pas ma démarche et je me demande, là-dedans, quelle est la place réservée à l’esprit. Mais je serais incomplet si je ne considérais pas que, quoi qu’il en soit, le chemin où avançait Jack n’était pas n’importe lequel : Il avait choisi le chemin de Compostelle …
Était-ce un hasard ? Était-ce le fruit d’une mode répandue par les médias ? – N’était-ce que cela ? – Je ne le crois pas. Jack marchait aussi pour d’autres … Un peu comme le faisaient certains, qui se faisaient payer, au Moyen-âge, pour marcher à la place d’un autre qui ne le pouvait pas. Jack ne se faisait pas rémunérer, loin de là : Il marchait pour les jeunes en difficultés, parrainé par une association à laquelle il se dévouait. Il leur téléphonait régulièrement, (à eux aussi !) pour leur indiquer où il se trouvait et ce qu’il voyait. Là-bas, en Meurthe et Moselle, ces jeunes le suivaient sur leur carte et, peut-être assimilaient-ils ainsi quelques notions d’histoire et de géographie ? – Ils développaient aussi sans doute leur désir de communiquer et les langages nécessaires aux échanges. Peut-être cela était-il efficace ? En tout cas, cela valait la peine d’être tenté.
- « Je voudrais bien, un jour, leur faire prendre le sac à dos et les emmener ainsi sur le Chemin, me disait Jack. Sans doute apprendraient-ils la joie de l’effort, que la plupart d’entre eux ne connaissent pas. Je voudrais cependant qu’ils puissent réfléchir à la notion que recouvre le mot « courage » … Je ne veux pas que l’on m’attribue du courage, puisque je fais ce que j’ai voulu et puisque j’y trouve du plaisir ! »
Brave jack ! J’ai aimé marcher avec toi. Nous nous sommes quittés à Nogaro, où ta famille était venue t’attendre et où tu as pris une journée de repos. Je t’ai attendu à Saint-Palais. Nous avons fait ensemble, encore, la dernière étape avant les Pyrénées, celle qui, passant par Ostabat, conduit à Saint-Jean-Pied-de-Port, celle qui est pour moi la plus belle, celle où j’ai le sentiment de marcher en plein ciel … Sais-tu que j’ai regretté de ne pas avoir continué avec toi en terre d’Espagne ? En pensée, j’ai marché avec toi … Mais si j’avais été réellement à tes côtés, nous n’aurions pas marché si vite … Je sais que tu m’aurais attendu, posant ton sac à terre chaque fois que tu m’aurais vu peiner en grimpant une côte …
Tu m’as surpris, jack, lorsque nous étions à Conques : Nous avions déposé nos sacs chez les prémontrés, nous nous étions engagés dans les ruelles du village, nous avions gravi des escaliers. Je t’ai mené jusqu’à la basilique Sainte Foy. Nous avons contemplé le tympan du grand portail. Il est
magnifiquement sculpté sur le thème du Jugement Dernier. Le Christ y trône en majesté. Autour de lui figurent les phalanges célestes, puis les justes, dont marie, Pierre et … Charlemagne ! Les anges poussent les méchants vers la trappe et les démons les prennent ensuite en charge. De petits curieux glissent un regard sous le bandeau de pierre qui souligne le tympan.
Faut-il donc toujours brandir la menace du Dieu terrible ? L’enfer existe-t-il vraiment ? S’il existe, comme concilier cela avec la notion du Dieu de bonté ? … presque toutes les religions brandissent, sous une forme ou sous une autre, la menace d’un enfer. Comment concilier cela avec l’idée de la toute puissance de Dieu ? Si Dieu est tout puissant, comment peut-on penser qu’il précipite les hommes dans les affres du péché ?
- « Ils sont libres », direz-vous.
- « Mais où est leur liberté, face à ce Dieu tout puissant ?
Je n’ai jamais réussi à dépasser cette interrogation. Il m’est difficile de concevoir un Dieu terrible de justice qui serait en même temps un Dieu de bonté … Pouvons-nous chanter « Nous irons tous au Paradis » ?
Les sculptures des églises composent des livres d’images, accessibles aux contemporains des sculpteurs ; les seuls accessibles sans doute à des hommes et des femmes qui, pour la plupart, ne savaient ni lire ni écrire …
L’Ancien Testament est un ensemble de textes très souvent terribles. Dieu y est Dieu de bonté, mais plus souvent encore Dieu de fureur ! Ces textes doivent-ils être entendus dans leur sens littéral ? Peut-on espérer que l’enfer n’est que l’invention pragmatique des sculpteurs et des prophètes ? … Leur conscience, forte peut-être, de la faiblesse humaine de l’existence … La menace, peut-être bien, n’était brandie que pour fortifier, rectifier, encadrer les conduites ?
- « Juste et craignant Dieu » !
Je crois que Dieu est Dieu de bonté. Je crois que l’homme est faible, mais je crois qu’il n’est aucun homme incapable de se ressourcer, d’avoir regret, de faire repentance … Je crois que, d’une manière ou d’une autre, en Dieu, tout homme est sauvé … Notre époque ne veut plus brandir la menace. Les esprits se sont ouverts et enrichis des apports de la réflexion et de la science. Dans nos sociétés, tout le monde ou à peu près sait lire et écrire … Sommes-nous pour autant certains que nous pouvons nous passer de la menace de l’enfer ? … Il y aurait beaucoup à dire à ce propos !
Je suis entré dans la basilique avec Jack. Il traînait les pieds. Je contemplais les arcades romanes, les chapitaux historiés, les fresques, les autels, les statues … J’étais quelque peu déçu par les vitraux, que l’on me disait modernes et auxquels s’attachait un grand nom : Celui de Soulage : Je les trouvais très pâles. Cela a pour mérite de laisser passer la lumière. Les églises romanes sont sombres, souvent. Tout à coup, je m’aperçus que Jack partait sans moi : Il avait fondu en larmes ! Je le rejoignis sur le parvis … Il pleurait !
- « C’est trop tôt, me dit-il … Je ne peux pas entrer dans une église … Il n’y a pas encore assez longtemps … »
J‘eus assez de discrétion pour ne pas lui demander d’explications. Je suppose qu’il pensait aux être chers qu’il avait conduits en terre récemment et dont la mort l’avait poussé au départ. Il refusa de visiter la salle où sont réunis les trésors de Conques : Tapisseries, tableaux, croix de processions … Le reliquaire de Sainte Foy, surtout, qui guérissait les aveugles et libérait les captifs, attirant à Conques, au cours des siècles, des flots de pèlerins venus de toute l’Europe. Je restai avec Jack et je n’ai donc rien vu de tout cela … Ce n’était sans doute pas essentiel.
À bien y réfléchir, j’ai, au cours de mon périple de cette année deux Mille, visité assez peu d’églises, contrairement à ce que j’avais fait l’année précédente en Espagne. Cela mérite réflexion.
Nous avons quitté la cathédrale de Notre dame, au Puy, sans assister à la messe. Il est vrai que nous avions, sous les voûtes, cherché le prêtre qui aurait dû se trouver là, selon ce qu’on nous avait dit. Il est vrai aussi que la messe devait être dite à une heure tardive, au matin d’une longue étape … Avons-nous eu d’autres occasions, que nous aurions manquées, d’assister à l’office ? – Oui, certes … Il m’en souvient : j’aurais pu assister à la messe à Arthez-de-Béarn, mais, à l’heure où elle était dite, et c’était le vendredi de Pâques, nous étions attablés dans une salle communale où une hôtesse nous servait le repas. Il n’empêche … Nous n’avons visité que quelques églises au hasard de notre parcours … À bien y réfléchir, d’ailleurs, et à posteriori, je crois bien que je suis allé visiter, seul, l’église de Lectour, celle de Condom … Quelle autre encore ? … À Moissac, Jack est entré avec moi dans l’église et dans le cloître : Je lui avais expliqué depuis longtemps le prix que l’on devait attacher à ces visites : L’incident de Conques m’avait averti …
Je ne crois pas, pour autant, que l’attitude de jack ait été la seule cause de la rareté de mes visites dans les églises rencontrées … L’année précédente, en Espagne, j’avais été beaucoup plus assidu. Est-ce à dire que, cette année-là, mon pèlerinage avait été placé beaucoup plus nettement sous le signe de l’Esprit ?
Je me suis interrogé sur la qualité de mes pensées. Étais-je bien en recherche ? Me suis-je bien senti, cette anné-là, aussi proche de Dieu ?
J’ai déjà dit que les rencontres faites avaient installé, tout au long du Chemin, un état d’esprit très différent. Le téléphone portable y était sans doute pour quelque chose. Mais j’avais marché presque constamment tout seul, Jack me précédant de loin. J’avais donc eu tout loisir de rentrer en moi-même pour poursuivre ma recherche … Qu’avait-il donc manqué, ou bien qu’y avait-il eu en trop ?
) la cassagnole, peu après Figeac, où nous ne nous étions pas arrêtés, nous avons rencontré un groupe de Bretons, venant de Vannes. Ils étaient quatre couples. Nous avions d’abord vu arriver une grosse voiture, dont les sièges étaient vides. Le conducteur s’était fait reconnaître par notre hôte, lui ayant rappelé les communications téléphoniques et les courriers par lesquels il avait retenu les places dans le gîte bien longtemps à l’avance. Il s’activa très vite : Il descendait du véhicule les sacs et les paquets. Il alla ensuite dans la cuisine pour préparer les repas de ses amis : En arrivant, ceux-ci n’auraient plus qu’à prendre leur douche, et à s’asseoir, les pieds sous la table … On nous expliqua que, chaque jour, c’était à tour de rôle que l’un des randonneurs prenait le volant de la voiture, tandis que les autres marchaient. Ils allaient, pour cette année, jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous fîmes connaissance, le soir venu. Ils étaient très sympathiques et nous offrirent une tranche de jambon. Le lendemain, nous nous aperçûmes qu’en fait, ils entamaient tous chaque étape en voiture … C’est une façon de faire … Et pourquoi pas ? … Je n’avais jamais envisagé une telle manière de pérégriner … Mais, au fait … Était-ce bien un pèlerinage, qu’ils faisaient ainsi ?
Un groupe d’amis, jouant un peu aux boys-scouts, chacun heureux d’être avec les autres … En soi, le projet nemanque pas de beauté … Trois semaines de plein air , d’amitié, d’exercice physique et … Bien que deux d’entre eux au moins se défendissent de toute motivation spirituelle :
-« Il n’empêche … Il n’empêche … C’est pourtant sur ce chemin-là que vous marchez, pas sur un autre ! »
Je me gardai donc de toute critique. À Gréalou, un auvent de toile attendait, tendu sur la place du village par celui qui conduisait la voiture. La table était dressée et la collation prête. Nous en avons profité pour remplir nos bidons : Il y avait longtemps que nous n’avions rencontré ni fontaine, ni robinet !
- « Salut, amis … Et rendez-vous ce soir à Cajarc ! »
Ah ! Bien oui ! … Le soir, à Cajarc, il ne restait pas de place pour nous au refuge : Elles avaient toutes été retenues par courrier, longtemps à l’avance, par nos amis randonneurs organisés. Nous devions, du reste, nous trouver dans la même situation à Nogaro, puis à Aire-sur-L’Adour. Dans ces cas-là, on se rabat sur les hôtels ou sur les « chambres d’hôtes », mais ce sont des solutions onéreuses …
« Tiens, j’avais pensé que les gîtes d’étapes, sur le chemin de Compostelle, étaient réservés en priorité aux pèlerins munis de la « credentiale » et justifiant ainsi de leurs motivations spirituelles ? »
« C’est le cas en Espagne, de Roncevaux à Santiago. Mais, après tout, la « credentiale » atteste-t-elle vraiment la spiritualité de la démarche ? – En Espagne, par ailleurs, les gîtes n’acceptent pas les réservations. La priorité est donc donnée au premier arrivant, avec une priorité toute spéciale pour les piétons, puis pour les cavaliers et les cyclistes … Mais cette solution, qui paraît au premier abord très judicieuse, est-t-elle vraiment meilleure au bout du compte ? … Il en résulte un évident caractère de compétition qui n’a que peu de choses à voir avec la spiritualité : C’est à celui qui prendra le chemin le plus tôt le matin, à celui qui marchera le plus vite … Pour arriver le premier au gîte et s’assurer une couchette …
Il manque à tout cela une dimension qui me paraît essentielle à tout pèlerinage de longue durée : L’abandon … L’abandon à l’aléatoire … Il me semble que, du jour où le pèlerinage commence, le pèlerin se place entre les mains de la Providence. La succession de ses pas se fait sans prévisions, sans calculs … C’est à cette condition que l’esprit fait son œuvre et parvient à sortir du temps pour vivre la durée … Ce qui est bien autre chose !
Cependant, ceux qui voyagent ainsi, en groupes, sont de plus en plus nombreux. Ils sont aussi de plus en plus nombreux, ceux qui se font précéder ou suivre par des voitures, ayant assuré gîtes et repas à l’avance … Faut-il le regretter ?
- « C’est le résultat d’une mode. Il est aujourd’hui à la mode d’aller à Compostelle, ou tout au moins de marcher sur les chemins de Compostelle … Cela passera. C’est le résultat de l’action des de la télévision, de la radio, des journaux …C’est l’effet des voyages pontificaux … Celui des cérémonies des années jubilaires … Celui encore, des « Journées de la jeunesse » … Cela passera … »
On pourrait aussi voir dans cette « mode » l’expression d’un besoin de spiritualité qui se conjugue avec une soif de retour à une certaine authenticité et avec un goût de l’exercice physique … Avec un appétit de découverte aussi … Dans ce cas, cette « mode » n’est peut-être pas près de passer … Peut-être n’est-elle au contraire que le premier signe d’une évolution ? Peut-être n’est-elle, au contraire que le premier signe d’expression d’un besoin de changement des objectifs de nos sociétés développées, jugées vides de sens et de naturel ?
Marche, marche, Nathanaël, marche sur le Chemin où tu te trouves. En haut de la côte prochaine, tu n’apercevras pas l’échelle de Jacob. Tu ne verras pas, de la vallée voisine, s’élever l’arbre de Jessé ? dans les cieux, tu ne verras pas tourbillonner les anges et les séraphins. La Madone ne t’apparaîtra probablement jamais au détour du sentier. Marche, c’est tout ce que tu as à faire. Fais-le. Le Chemin, c’est la vie : Nul ne te demande plus que d’atteindre la borne qui se trouve là devant … Une borne après l’autre, une côte après l’autre, un ruisseau, un ravin, une vallée, un plateau caillouteux, un village, une église … Tu passes et tu ne fais que passer, mais passe en sachant que tu n’es qu’un passant. Tu vas vers un ailleurs …
Tu interrogeais le seigneur et tu t’étonnais de ne pas avoir de réponse … Tu doutais …
- « Montre-nous Seigneur, où est le Chemin … Dis-moi où il va ! »
Pour l’instant, mets un pied devant l’autre, respire bien, décontracte tes muscles, reste souple … Laisser les images, les odeurs, les couleurs venir vers toi. C’est toute une suite de pays qui s’avancent, une suite d’idées, une suite de merveilles. La durée installe la souplesse. La fatigue ne se ressent plus guère. Cet arbre, là devant, on ne te demande que d’en atteindre le pied. Pour le reste, tu verras bien ce qui viendra après … Tu voulais faire de grandes choses ? Tu rêvais de devenir un apôtre, un saint, un martyr ? Tu aurais voulu avoir le cœur assez grand pour aimer le monde entier ? Tu aurais voulu avoir la force nécessaire pour venir en aide à tous les malheureux, pour effacer le malheur de la terre entière ? – Avance sur le sentier … Prends garde aux cailloux qui roulent sous le pied, aux ornières gorgées de boue dans lesquelles on glisse … Le Seigneur te demande d’aller – Va ! … Tu te plaignais que les rencontres de l’an dernier, sur le chemin d’Espagne, soient restées sans lendemain : c’est vrai, la plupart du temps, les compagnons de route se font reprendre, une fois revenus chez eux, par le quotidien. Il est rare que des relations solides se maintiennent entre compagnons pèlerins. C’est en tout cas l’expérience que j’en ai faite. Faut-il s’en plaindre ? … Il n’est pas certain que, pour autant, ces rencontres aient été stériles … En tout cas, celui que tu croises, si sa gourde est vide, donne-lui de l’eau. Si son sac est lourd, aide-le à le porter. S’il doute, offre-lui le réconfort. … C’est comme dans la vie : Le Seigneur ne demande pas le martyr à tout le monde … Il ne demande pas à chacun de renoncer à tout. Il ne te demande pas forcément d’être un saint. Il ne te donnera sans doute pas la grâce de l’extase, les stigmates du Christ, la vision de l’empire céleste … Il ne t’apparaîtra probablement pas au creux d’un rocher, au carrefour de deux chemins pour t’offrir la palme … Fais ce que tu as à faire, maintenant, là où tu es placé. Aide celui que tu rencontres, parle-lui … Sois humble … Passe, va …
- « Quand on fait ce qu’on peut, on fait ce qu’on doit. Mais fais ce que tu peux. Pense aussi à la vertu de modestie. Peut-être le plus grand saint est-il celui dont on n’a jamais connu le nom … »
Je tenais à rencontrer le Curé de Navarrenx. Tout le monde parle de lui, le long du Chemin. Navarrenx, cité surprenante, fortifiée un siècle avant la naissance de Vauban. J’y suis entré par une sombre poterne percée dans la muraille. Il pleuvait. Une femme me montra le chemin. Le Curé n’était pas chez lui. Aucune importance : Au téléphone il m’avait dit :
- « Si je ne suis pas là, vous entrez : La porte est ouverte. Vous montez l’escalier. La première porte à gauche est celle de la salle de bains, où vous pourrez prendre une douche. La seconde est celle de la chambre. Vous vous installez. Je serai à l’église. »
j’ai posé mon sac. J’ai pris une douche. Je suis allé jusqu’à l’église. Le Curé s’y trouvait … Une quinzaine de paroissiens …. (« Tiens tiens ! Des jeunes pour une fois ! ») … On préparait la visite de l’Évêque de Lourdes, prévue pour le lendemain, à l’occasion du baptême d’une jeune fille :
- « Un baptême d’adulte, c’est l’aboutissement d’une longue préparation. Cette jeune fille est venue demander le baptême. Nous l’avons accompagnée dans sa démarche. Nous avons fait ensemble un cheminement merveilleux ! »
Monsieur le Curé, merci pour votre accueil. À dire vrai, je suis reparti un peu déçu … Mais pourquoi ? … N’avons-nous pas été reçus devant la haute cheminée où flambaient d’énormes bûches ?
- « Nous nous relayons. Deux d’entre nous, chaque jour, à dix uit heures trente. Les paroissiens de Navarrenx accueillent les pèlerins et vident avec eux le verre de Jurançon de la fraternité. »
Déçu … Un peu … Mais qu’attendais-tu ? … En fait, je crois que tu cherchais un Curé pour toi, qui t’écouterait, t’accompagnerait, t’aiderait … Eh bien, qu’attendais-tu là ? … Le Chemin de Compostelle n’existe-t-il pas pour cela ? N’est-ce pas de lui que tu reçois la faculté de méditation et d’écoute ? C’est en toi que se trouve la ressource et en toi seul. Le Curé de Navarrenx était retenu pour d’autres accompagnements. Tu as partagé avec lui une boîte de sardines à l’huile et les restes de viande qu’il y avait dans le réfrigérateur. Tu as mangé la soupe aux légumes qu’il avait préparée. Il t’a quitté très tôt pour d’autres rencontres. Chez lui, tu as été chez toi. Tu es repartie le lendemain, au petit matin. À bien y réfléchir, c’est peut-être là que tu as appris que toute recherche ne pouvait qu’être personnelle et que le Chemin est chemin de recherche … N on, tu ne l’as pas appris là, mais tu en as reçu confirmation.
- « Et si l’essentiel n’était pas de croire, mais d’être en recherche ? … Est-il donné à tout le monde de croire ? »
c’est à Saint-Palais, au Frère Franciscain Jean-José que je pose la question. Il m’écoute, ne me répond pas. Sans aucun doute, il juge que je dois faire mon chemin moi-même, tout seul. J’en déduis qu’il n’est pas loin de penser que l’essentiel est de cheminer, de chercher … La grâce viendra ensuite, à l’un des détours du Chemin … Elle ne peut manquer de venir … Je ne crois pas à l’Enfer, je l’ai dit : Son existence serait contraire à toutes mes espérances.
Et d’abord, existe-t-il des hommes que l’on puisse ranger dans des catégories, sur les gradins dessinés par dante dans sa Divine Comédie ? – Je ne crois pas qu’une étiquette, quelle qu’elle fusse, puisse résumer la vie d’un homme : Nul n’est avare et seulement avare … Nul n’est orgueilleux et seulement orgueilleux … Si ce n’est dans les comédies de Molière. Je ne crois pas que l’on puisse dire :
« Celui-ci est un assassin, celui-là est un concupiscent, tel autre un voleur. » Une vie ne peut certainement pas être résumée ainsi et, au bout du compte, la pesée des âmes serait bien malaisée. Il suffit d’un instant de remord véritable ou de compassion pour effacer le poids des pêchés … Au bout du compte, l’essence d’un homme peut-elle se résoudre à la somme de ses actes ? Les sculptures du tympan de l’église de Conques et de celui de Moissac ne peuvent être que des symboles, destinés à frapper les esprits, à provoquer la réflexion, à rabattre les superbes, à éveiller les inconscients. Mais, peut-être y a-t-il, là encore, de ma part, présomption et inconscience … Qui pourrait le dire ?
- « Va, va ton chemin ! »
À celui qui cherche, tout est symbole, tout est signe. L’aveugle cherche ce qui peut faire signe. L’étranger cherche des signes. Dans l’inconnu, tout est signe. Comment croire une étoile ? – Chercher une voix ? – Chercher l’ombre d’un messager ?
Je cherche d’abord les signes qui, pour moi, font balises. D’autres les ont tracés à mon intention : Deux petits traits superposés, l’un blanc, l’autre rouge … Parallèles et horizontaux, ou bien, sur le chemin d’Espagne, une flèche jaune … Sur le tronc d’un arbre, sur le fût d’un poteau de béton, le piquet d’une clôture ou bien encore à l’angle d’un mur … Parfois, le balisage manque … Je cherche, je cherche … L’inquiétude finit par venir.
C’est toujours le Chemin, qu’il faut chercher pour le suivre. Souviens-toi de celui qui perdit la trace, en bas du col d’Ibaneta : Il marcha pendant dix heures dans la neige avant d’arriver à Roncevaux ! … Souviens-toi de ceux qui ont péri dans l’Aubrac, faute de trouver les signes.
J’ai beaucoup aimé les paysages de la haute vallée du Lot : Saint Côme d’Olt, ville superbe, installée dans son Moyen-Âge, d’autant plus belle que l’on y parvient au déboulé de la longue descente, après l’Aubrac … Villes surprenantes ! … Espalion , son pont aux multiples arches, Estaing, assise, de même, de l’autre côté d’un pont très ancien … Estaing et son curieux château que l’on croirait issu d’un rêve féérique … Mais accomplissais-je une randonnée touristique ou bien c’était un pèlerinage ? …
C’était un dimanche, lorsque nous passâmes à Estaing. Nous n’avons même pas essayé d’assister à la messe … D’autres, rencontrés plus loin, nous racontèrent qu’après s’être renseignés, ils étaient montés au château : Une communauté de religieuses l’occupe … Elles ne sont plus que quelques-unes. Nos pèlerins, après avoir vainement frappé à la porte entr’ouverte passèrent le seuil … Ils errèrent dans les couloirs déserts pendant une bonne demi-heure avant de rencontrer quelqu’un : Une sœur qui revenait de la chapelle où venait de s’achever l’office !
À Estaing, nous rencontrâmes un jeune pèlerin belge … Chose rare, il revenait de Saint-Jacques -de-Compostelle à pied, avec son sac sur le dos. Il était parti de son Brabant natal depuis près de trois mois. C’était un véritable athlète et il était, de toute évidence, en excellente condition physique … Que cherchais-tu, ami, sur le Chemin ? … Ultreïa ! … Ultreïa y Susseïa ! … Que le seigneur soit avec toi … Nous avons passé plus outre …
Où est le signe ? Pour que la chose prenne sens, il faut commun langage … Quel est le langage de Dieu ? Sommes-nous capables de le comprendre ? – Quels étaient les langages de ceux qui, avant nous, sont passés sur le Chemin ?
Croix de pierre, nombreuses croix, gravées ou non, très anciennes ou beaucoup plus récentes … Dans le Gers, j’ai vu des paysans … Ils sont fiers de leur état et ne demandent qu’une seule chose, à ce qu’il m’ont dit, c’est que les évolutions modernes ne les empêchent pas de conserver le mode de vie qui est le leur … Il y avait trois vieux avec leurs fils … Ils relevaient, à une croisée du sentier, une très ancienne croix de bois que la tempête d’hiver avait abattue.
C’était donc la seconde fois que je rencontrais des cultivateurs occupés à sauvegarder les témoins de leur passé. Au-delà de Conques, sur la voie de Decazeville, on relevait une chapelle de Saint Roch … Ici c’était une croix. S’agit-il d’autre chose que de l’effroi très réel et très compréhensible devant les bouleversements de notre époque ? … Elle voulait sauver sa ferme, cette femme qui, à Saint Antoine, avait ouvert un gîte d’étape et des chambres d’hôtes. Elle tentait de lutter contre la diminution de ses revenus, pendant que son époux continuait à soigner les vaches. Ils essayaient tous les deux, désespérément, de sauver leur mode de vie et leurs valeurs, ces hommes que j’ai vus peignant des slogans sur les routes pour protester contre les atteintes à leurs droits de chasse :
- « On chasse en février … On vote en 2002 ! »
*
Au-delà de tout ceci, au fil de la marche, passant entre les haies de buis, passant au long des interminables murs élevés, saison après saison, année après année, siècle après siècle, en ôtant les pierres qui parsemaient les champs et gênaient le soc des charrues ;.. Il faudrait parler de millénaires sans aucun doute … Interminables murs … Pierre après pierre, bloc après bloc, cailloux empilés … ET grâce à ceci, les champs sont devenus cultivables … Les voici maintenant, abandonnés souvent, livrés aux herbes folles, livrés aux ronces … Au-delà de tout ceci, je me demandais pourquoi la croix … Pourquoi la croix en tant que symbole du christianisme ? … Pourquoi la croix plutôt que le poisson que sculptaient les premiers chrétiens dans les couloirs des catacombes ? … Le poisson … Symbole de vie et de lumière …
- « Victorieusement, vainement gaîné, dégaîné. Victorieusement, vainement pénétrant, rond, huilé. Prisonnier de son huile comme de son acier. Le poisson est une espèce de mécanique (Un arbre, un piston, une navette) qui apporte dans le milieu où elle doit jouer à la fois son acier et son huile, sa dureté et sa lascivité, son audace et sa fuite, son engagement et sa libération …
- « Comme un court athlète dans son maillot à paillettes, poisson tenu en main étonne par sa vigueur, glisse avec brusquerie et force à le brandir – grâce à la prestesse et vigueur de ses réactions et de ce côté bandé à s’enfuir malgré sa cotte de mailles, parce qu’elle est huileuse, lubrifiée …
- « Son maillot de piécettes : comme de la monnaie-du- pape ( mais bleutée), de piécettes usées, atténuées (surtout sur un bord), bien assemblées en un corps en forme de bourse qui sait ce qu’elle veut : veut à tout prix s’échapper de vos doigts ! »
Francis Ponge, certes, serait bien surpris de marcher sur les chemins de Compostelle avec moi !
Le poisson, comme symbole de vie, de dynamisme, d’énergie … Ou bien le pélican : C’est aussi un symbole christologique : Le pélican qui nourrit ses petits de ses propres viscères … Mais c’est encore mourir ! – L’agneau, donc ? L’agneau, pur et sans tache ? … Mais l’agneau va être égorgé sur l’autel … Le fils de Dieu n’est pas mort, lui … Il est ressuscité ! Il nous a nourris, nous nourrit encore, mais il n’est pas mort : Le Seigneur est bien vivant et c’est le Seigneur vivant qu’il convient de célébrer ! … Alors, pourquoi la croix ?
- « Ils célèbrent un dieu crucifié et mort ! »
Le Seigneur a été crucifié. Il est mort. Il fallait qu’il mourût, puisqu’il s’était fait homme. Eût-il échappé à la mort, il n’eut pas été un homme. La croix, donc, est symbole à rappeler l’humanité du fils de Dieu, plutôt qu’à rappeler sa mort. Après la naissance dans une crèche, naissance des œuvres d’une femme … Il fallait la croix. Si le fils de Dieu a racheté nos pêchés, ce ne peut être que parce qu’il s’était fait homme et parce qu’en tant qu’homme, il a accepté de devenir pêcheur, comme tous les hommes. Mort sur la croix, il laisse sa condition d’homme et conserve sa condition divine.
Je préfèrerais pourtant un autre symbole christologique : Celui de la vigne. La vigne est symbole de vie, symbole de sève, dispensatrice du raisin avec lequel on fait le vin. Nue en hiver, elle se recouvre de pampres la saison venue. Elle est vigoureuse, elle s’accroche par ses vrilles, elle produit ce qu’il faut pour étancher la soif des hommes, ce quji va leur procurer la joie. Le symbole de l’épi de blé me conviendrait aussi : L’épi est vigoureux, érigé, chargé de grains … Avec le grain du raisin on fait le vin … Avec le grain du blé, on fait la farine, puis le pain … Le pain et le vin …
- « Fruits de la terre et du travail des hommes … »
Lorsque j’étais enfant … Il m’eut aidé, celui qui m’eut mieux fait comprendre que je suis homme … Et rien qu’un homme, c’est-à-dire un mortel. Je n’ai pas assez tôt compris pourquoi je suis pêcheur … Forcément pêcheur … Il m’eut aidé, celui qui m’aurait fait pieux comprendre que je puis être sauvé, mais que cela dépend de moi, de moi seul. Il m’eut aidé, celui qui m’aurait fait comprendre que mon existence ne s’inscrit pas dans le temps …
Le dieu Mithra, célébré mille trois cents ans avant la naissance de Jésus Christ en Perse, dont le culte se répandit ensuite en inde, en Grèce, et dans toute l’Europe par l’intermédiaire de Rome fut sans doute le premier qui enseigna que le salut se mérite, sur terre, par l’attention que chacun apporte à son prochain. Mais Mithra sacrifiait encore des taureaux sur des autels de pierre.
Le bouddhisme, dans sa forme dite du « Grand Véhicule » fait obligation de compassion et d’aide au prochain.
Abraham sacrifiait les agneaux, en faisait bruler les chairs sur les autels. … Un jour, il faillit immoler son propre fils …
Le fils se fait homme et nous apprend que le salut ne se trouve ni dans les sacrifices sanglants, ni dans les invocations. La prière nous aide, mais le salut se mérite dans la vie de chaque jour, dans l’action, dans la compassion, dans la charité. Voici la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament : De terrible, Dieu se fait fraternel ; d’éloigné, il se fait proche. Au lieu de nous demander des holocaustes et des odeurs de fumées montant vers un ciel lointain, il nous demande de nous aimer les uns les autres :
- « Ce que vous ferez pour l’un de ces petits, c’est à moi que vous le ferez. »
C’est pourquoi je pense qu’il n’y a pas de pêché sans possible rémission. Il y a toujours quelque chose à faire et, s’il doit y avoir sacrifice, ce sera vertu. Le prêtre n’égorge plus l’agneau. En quelque sorte, le Seigneur nous invite à renverser les autels et à regarder autour de nous : Le Paradis existe pour tous … Il est à la portée de chacun … Il se mérite par des actes et non par des paroles. Saint Jacques nous le rappelle, dans plusieurs de ses lettres … Saint Jacques … Et c’est pour entendre cela que je marche sur les sentiers jacquaires ! … La marche rythmant la méditation, la vérité en jaillit dans sa lumière.
-« Mes frères, à quoi cela sert-il qu’un homme dise : « J’ai la foi », s’il ne le prouve pas par par ses actes ? Cette foi peut-elle le sauver ? Supposez qu’un frère ou une sœur aient besoin de vêtements et n’aient pas assez à manger. À quoi cela sert-il que vous leur disiez « Au revoir, portez-vous bien, chauffez-vous bien et nourrissez-vous suffisamment », si vous ne leur donnez pas ce qui est nécessaire pour vivre ? - Il en est ainsi de la foi : À elle seule, si elle ne se manifeste pas par des actes, elle est morte . »
Saint Jean ne nous dit pas autre chose :
- « En effet, voici le message que vous avez entendu depuis le commencement : « Aimons-nous les uns les autres » … Mes enfants, il ne faut pas que notre amour consiste uniquement en discours et en belles paroles ; ce doit être un véritable amour qui se manifeste par des actes. »
Si notre époque, à l’orée du nouveau millénaire, hésite tant, et tant se cherche, c’est que nos sociétés ne sont plus ce qu’elles étaient : Petits groupes fermés, pastoraux ou ruraux, au sein desquels tout le monde se côtoyait et tout le monde se connaissait . Les hommes ont formé de vastes sociétés, qui tendent à n’en plus faire qu’une … Les vertus que le Nouveau Testament nous demande de valoriser et de pratiquer ne peuvent plus revêtir les mêmes formes. La charité tend à l’institutionnalisation : Prise en charge par les individus, puis par les communautés, elle finit par l’être par des organismes supranationaux. L’efficacité y gagne peut-être, encore que cela ne soit pas tout à fait certain : Les élans du cœur finissent souvent par y perdre en clarté. Par quel don de soi résoudrait-on, même, les difficultés de tous les révoltés, de tous les malheureux que l’on rencontre, écroulés aux porches des voies publiques ou brandissant le poing sur des barricades ? Il nous faut repenser la charité sans doute, mieux savoir la définir, mieux savoir tendre la main, accompagner …
« Mais tu n’es pas Mère Thérésa. Fais ce que tu dois … »
L’accompagnement est sans doute la notion à retrouver. Les chemins de Compostelle y invitent fortement. Il n’esrt de parcours qu’individuel, personnel. Chacun trouve en lui seul sa vérité. Mais nul n’est seul sur le Chemin … Ceux qui marchent en groupes constitués ne tentent-ils pas, au fond, un retour en arrière, un retour vers ces petites sociétés, les clans, les tribus, plus ou moins hiérarchisés, plus ou moins refermés sur eux-mêmes ? Ceux qui marchent seuls, résolument seuls, subissent, au moins pour la durée de leur périple la tentation de l’anachorétisme : Se sauver par la méditation solitaire. … Mais peut-on encore se sauver par la méditation solitaire ? Il reste la possibilité de cheminer en s’abandonnant à la Providence tout en restant ouvert à chacun, à ceux qui oeuvrent dans les champs, à ceux qui conduisent leurs machines sur les routes, à ceux qui rient, à ceux qui pleurent, à ceux qui marchent, à ceux qui sont en recherche, eux aussi …
J’ai rencontré Jane à Veylats : Jeune Américaine à l’allure sportive. Elle était là depuis vingt-quatre heures déjà, arrêtée dans sa randonnée par une tendinite … La tendinite est le fléau des marcheurs insuffisamment entraînés … Elle était désolée par la perte de son appareil photo, tombé sans doute dans la neige, entre Nasbinals et Aubrac. Elle enfila les bretelles de son sac à dos et partit avec nous au petit matin ? Nous avons cheminé ensemble jusqu’à Montcuq, puis elle nous a suivis jusqu’à Lauzerte. Elle marchait bien, les deux bras balancés en large mouvement car elle n’utilisait ni bâton, ni bourdon … Nous échangeâmes peu de paroles ? Aurais-je dû être plus proche ? … Nous marchions rudement ; Jack et moi ? Jane marchait bien aussi, ne se plaignant plus de sa douleur.
- « Rudes journées !», nous dit-elle.
Nous l’avons laissée là, au cœur de la bastide de raymond VI de Toulouse. Nous avons poursuivi jusqu’à Moissac, où nous sommes arrivés assez tard.
- « Je suis content, me dit Jack. La Providence avait placé Jane sur notre Chemin pour que nous lui tendions la main. »
Nous avons retrouvé Jane à Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle avait récupéré son appareil photo, ramassé par un autre pèlerin. Elle était heureuse, mais toujours aussi peu loquace.
À la cassagnole, nous avons rencontré Hélène et son mari … Belges tous les deux … Lui médecin, elle professeur d’éducation physique … Ils marchaient plus vite que nous.Nous les rencontrions dès qu’ils s’arrêtaient pour boire ou manger. Ils nous rattrapaient dès que c’était nous qui nous reposions un peu. Ils avançaient sur le chemin de manière assez curieuse : Dès leur arrivée à l’étape, le mari retournait en auto-stop à l’étape précédente pour ramener leur voiture. Sans doute craignaient-ils quelque incident ou l’épuisement de leurs forces … Ils firent bien, au bout du compte, car Hélène, elle aussi, souffrait d’une tendinite au moment de quitter Veylats … Ils durent interrompre leur marche et poursuivre en voiture jusqu’à Moissac. Nous nous sommes quittés à regret, la sympathie s’étant développée entre nous. Que sont-ils devenus ? … Nous ne les avons plus revus.
C’est cela aussi, le Chemin. Qui disait que le Chemin est à l’image de la vie ? … Quelqu’un marche à vos côtés, pendant quelque temps, puis il s’efface. Un autre vous rejoint, que vous n’aviez jamais vu, puis il marche avec vous. Celui-ci, vous ne le rencontrerez que le soir, à l’étape, mais vous savezque, tout le jour, il marche comme vous, soit devant, soit derrière. Celui-là était sur le Chemin avant vous et y restera plus longtemps que vous. On se rejoint, on se croise, on s’accompagne, on se quitte … C’est la vie … L’essentiel est de marcher …
Marthe et Monique, je ne sais plus si c’est à Condom ou bien à Eauze que je les ai rencontrées. Marthe venait du Nord de la France, Monique était Canadienne … Pardon, Québecquoise, précisait-elle. La Québecquoise était toute petite, mais agitée et volubile. Elle me saoulait dans un flot de paroles, surtout un flot de questions auxquelles elle semblait d’ailleurs n’écouter que fort peu les réponses. Elle racontait, du moins c’est ce qu’il m’a semblé comprendre, qu’elle était mère de deux petits-enfants, qu’elle travaillait dans la publicité, si mes souvenirs sont bons. Elle était divorcée, ou bien séparée de son mari … Je ne saurai jamais pourquoi, exactement, elle cheminait sur les voies de Saint Jacques. Je ne le lui ai pas demandé. Nous avons partagé deux ou trois repas du soir.
Marthe me parut d’une tout autre trempe : Assistante sociale, solide, blonde, radieuse ? À Navarrenx, lors de sa rencontre avec le Curé, elle était comme nimbée de lumière. Je crois avoir compris qu’elle cherchait sur le Chemin un approfondissement de sa foi et une meilleure connaissance d’elle-même. Elle se demandait si le Seigneur ne l’appelait pas. Je regrette d’avoir fui ces deux filles, tout au long des cinq étapes que je parcourus sans mon ami Jack, lui-même arrêté pour un temps à Nogaro. Marthe, dans mon existence, demeure un halo de lumière blonde.
Pourquoi me suis-je appliqué à leur échapper toutes les deux ? – Leurs rythmes n’étaient pas les miens : Elles partaient tard le matin, cheminaient en s’arrêtant souvent, bavardant beaucoup. Elles arrivaient tard le soir … Je les attendais à l’étape. Pour ma part, j’ai l’habitude de ne m’arrêter, vers midi, que quelques minutes, pour manger mon pain et mon fromage. Je pars très tôt. Je chemine à mon train, à peu près régulièrement. Je traverse les hameaux et les villes sans m’arrêter. Je peine souvent, dans les côtes. J’arrive tôt à l’étape et je me repose en vue du lendemain … Mais nous n’avions pas le même âge, ces deux jeunes femmes et moi ! … Je les ai revues à Saint-Jean-Pied-de-Port. Elles avaient l’intention de poursuivre jusqu’à Pampelune ou bien jusqu’à Burgos … Je ne sais plus …
La plupart de nos cathédrales sont relativement bien entretenues, encore que certaines d’entre elles souffrent de bien des escarres. Elles ont la chance d’être des monuments célèbres. Les églises sont parfois beaucoup plus en danger. Celle de mon village, dont la partie la plus ancienne fut construite au XI eme. Siècle, menace de s’écrouler : La nef est fermée au public depuis plus d’un an, sa voûte se fissure de jour en jour. Il est vrai que nos villages se sont dépeuplés … Certains d’entre eux sont quasiment déserts alors qu’ils sont blottis autour d’anciennes collégiales, d’anciennes abbatiales, d’anciens prieurés. La plupart du temps, les collégiales n’abritent plus aucun collège, les abbatiales sont désertées par les abbés, dans les prieurés, il n’y a plus de prieurs, souvent plus de nonnes, plus de moines, plus de frères … Il est difficile d’espérer qu’une petite commune vidée de ses habitants puisse assurer l’entretien de bâtiments dont les communautés ont disparu … Je pense à Sauvelade, entre Arthez-de-Béarn et Navarrenx … L’État prend la relève … En comptant ses sous : Il ne la prend qu’avec parcimonie, et seulement au bénéfice des édifices qu’il juge exceptionnels. C’est pourquoi les chapelles sont, la plupart du temps, laissées à l’abandon ou au bon vouloir des bénévoles. Ô ! Le nombre de petites églises, le nombre de chapelles dont murs et voûtes moisissent !
Il y a de moins en moins de prêtres dans notre pays. Comment le service de toutes les anciennes églises pourrait-il être encore assuré ? Les portes de chêne, sous les tympans richement sculptés, sont closes … Il le faut bien, tant les vols des objets sacrés sont devenus fréquents … La porte de mon église est encore ouverte, mais, depuis quelques semaines, il n’y a plus de prêtre desservant … Hormis pendant la période de le « Grande Révolution Française », ce n’était pas arrivé depuis l’an mille ! ….Ô ! Le nombre d’églises sans Curé !
Traversant les Grandes causses, le Rouergue, la Lozère, l’Aveyron ou le Gers, en avons-nous rencontré, des maisons aux fenêtres closes ! Il serait juste d’ajouter que plusieurs de ces bâtisses sont en cours de rénovation, mais ajoutons aussitôt que, de toute évidence, celles-là sont devenues des résidences secondaires, occupées pendant les vacances seulement.
Quelques hameaux connaissent un peu d’animation encore … Ce sont ceux auprès desquels fonctionne quelque école d’équitation ou quelque hôtel de plein air … Le reste ne vit qu’à l’instant du passage des randonneurs ou des pèlerins.
- « Mais parfois, me direz-vous, ces maisons-là, bien que fermées, sont tout de même habitées … »
Certes, il y a là un chien qui aboie furieusement, des poules qui caquètent, des vaches, qui paissent dans un pré clôturé et sous le hangar dort un tracteur … Mais, le plus souvent, les propriétaires ne sont plus cultivateurs qu’à temps partiel : L’homme est salarié pour conduire un camion ou un autobus sur les routes en dehors de la saison des champs, la femme travaille à la ville voisine en qualité de postière ou de caissière de supermarché . Les écoles sont fermées : Le car emmène les enfants à l’école de la ville. Le bras de la pompe est cadenassé et sue la fontaine qui coule encore on a posé une pancarte : « Eau non potable ! » au nom du principe de précaution. Veillez à remplir vos gourdes et bidons, avant le départ matinal !
À Vaylats, l’abbaye est encore habitée par des sœurs en grand nombre, mais ce sont des religieuses hors d’âge, retirées là pour y vivre la dernière partie de leur vie. À Conques, il y a encore des Prémontrés. J’en ai même vu un … Il portait unje robe longue immaculée. Il était grand et athlétique, jeune et il avait un sourire écla tant. Mais, dans la maison des Prémontrés, qui nous abrita pendant une nuit, nous fûmes accueillis par du personnel laïc … On dit pourtant qu’il y a un renouveau des vocations dans les monastères de France … Combien sont les Prémontrés de Conques ? … Chez les sœurs franciscaines du Puy-en-Velay, elles étaient quatre religieuses. Chez les Franciscains de Saint-palais, il n’y a plus qu’un seul frère. Dans l’église de Moissac, j’ai aperçu un prêtre, un seul, et il n’était pas jeune … Et pourtant … Moissac !
Et pourtant, de plus en plus de pèlerins arpentent les chemins de Compostelle. Les gîtes d’étapes sont de plus en plus nombreux …Vrais pèlerins ? … Randonneurs plutôt que pèlerins ? … Allez donc faire le tri ! … Certains, et ils sont foule, iront jusqu’à Santiago, d’une seule traite, d’autres s’y prendront à plusieurs fois. Il faut accorder à ces derniers le droit à la coquille.
Et pourtant, la chrétienté connaît bien un renouveau. Cela devient une évidence quand on voit le succès des pèlerinages, de tous les pèlerinages. Les jeunes accourent, fervents. Pourtant, les dimanches ordinaires, les jeunes ne sont pas là, dans les églises pour les offices … Lorsqu’il y a des offices.
Renouveau des mouvements charismatiques … Certains les tiennent pour suspects. Élan incroyable du jubilé de l’an deux mille … Foules en liesse pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, en quelque ville qu’elles soient organisées, en quelque lieu du monde … Succès non démenti des rencontres de Thaisé … Faudrait-il aussi tenir ces rassemeblements pour suspects ?
- « On a été bien accueillis par les Italiens. Le Pape avait rajeuni de dix ans ! « - Voilà tout ce que j’ai recueilli lorsque j’ai interrogé un garçon et une fille de vingt ans qui revenaient de Rome ! Faut-il pour autant être circonspect ou pessimiste ?
- « On a chanté. On a dansé … »
Oui, dans les « boîtes de nuit » aussi, on « s’éclate » … Les jeunes que l’on y rencontre sont-ils les mêmes que ceux qui sont allés à Rome ? – Que restera-t-il de tout cela ? Nous sommes à un tournant de notre histoire. Chacun le dit, pour le regretter ou pour exprimer un espoir. C’est une évidence, aussi bien en ce qui concerne les comportements qu’en ce qui concerne les échelles de valeurs … Bien malin celui qui dira ce que sera le monde dans quelques années, un monde que rétrécissent de plus en plus les moyens de transports et les moyens de communication ! Bien malin qui dira aujourd’hui ce que seront les sociétés , ce que seront les modes de production, ce que seront les loisirs ! Bien malin celui qui prophétiserait sur le devenir des religions ! – Je ne crois pas à l’affaiblissement des religions. Malraux disait que le vingt et unième siècle serait un siècle religieux, je le crois aussi, car je suis certain que les techniques ne font pas tout. Je ne suis pas certain que la libération du temps fasse tout. Les psychiatres, psychanalystes, psychologues sont de plus en plus nombreux, de plus en plus indispensables … Les angoisses sont de plus en plus fréquentes, mais aussi les quêtes, les recherches … Le développement des sectes, avec toutes les tromperies, tous les abus qu’elles exercent, signale-t-il autre chose que le besoin de croire ?
Curieuse période dans notre histoire ! – Il semble que l’église n’ait plus de prêtres. Elle dessert de moins en moins de temples, et ces temples, quand leurs portes sont ouvertes, accueillent de moins en moins de fidèles …
Il apparaît que les enseignements les plus fondamentaux de l’Église chrétienne sont ceux contre lesquels le plus grand nombre se rebelle … Ô , tout ce qui touche à la vie ! … Le pape, pourtant, attire des foules toujours de plus en plus nombreuses !
Notre Église deviendra-t-elle une société au sein de laquelle la communication se fera directement entre le Pape et les fidèles ? Les Offices seront-ils remplacés par des rassemblements sur la place saint-Pierre ? Au lieu d’écouter, dans les temples, les sermons des prêtres, le peuple se rassemblera-t-)il devant des écrans géants ? Interrogera-t-on le saint Père en « surfant » sur internet ? À côté de ceux-là qui se retrouveront pour chanter, sauter et taper dans leurs mains, n’y aura-t-il plus que ceux qui cherchent le silence et ceux qui marchent ? … Je veux espérer, je veux croire …
Je t’entends encore, Jean Brix, Prêtre, oblat de Marie-Immaculée, que j’ai rencontré au Laos et qui était mon ami. Tu pensais comme moi qu’il fallait commencer par donner aux peuples de quoi nourrir leur corps. Mais quelques mots, une fois, t’ont échappé … Ils ne sont plus sortis de ma mémoire :
- « Il n’est pas possible que le Message du Christ aboutisse à un échec. L’Europe le méconnaît, une autre région du monde le reprendra ! … »
Jean Brix, tu n’es plus, depuis quelques années déjà. Tu me manques, mais tu m’accompagnes tout au long du Chemin. Je suis plus fort avec toi.
Le risque, quand on s’installe dans la durée, lorsqu’on marche pendant plusieurs semaines, c’est de rabâcher. Monter les côtes, descendre au fond des ravins, marcher sur les plateaux et dans les plaines, c’est de toujours réciter des litanies. Un pied … L’autre … Mais on n’y songe plus. Alors, on cherche des signes encore. À celui qui cherche, tout devient signe : La flèche du clocher, l’arbre dénudé, l’oiseau qui passe dans le ciel, le chien que l’on rencontre …
- « Seigneur, Seigneur … Ouvre-moi les yeux ! »
J’avais déjà rencontré un chien qui était devenu mon compagnon, entre Arzac-Arraziguet et Arthez-de-Béarn. Je n’ai jamais très bien su comment nous nous étions rencontrés ni comment il m’avait quitté. Allez donc vous étonner que certains puissent voir dans ce genre d’événement autre chose qu’un hasard !
À peine sorti de Navarrenx, alors, tout juste, que s’effaçaient les remparts de la ville, je m’étais assis un moment sur le parapet d’un petit pont. L’endroit était charmant. Un ruissseau coulait sous mes pieds. Une ferme se blotissait dans le creux d’un virage. Un verger de noirs pommiers nus s’allongeait sur une verdoyante pelouse. Une chèvre rousse tirait sur sa corde. Un chien parut … Encore un chien ! … Celui-là était lourd, massif, couvert de longs poils blancs à peine jaunis. C’était un « grand pyrénéen ». Il avait une bonne tête de sage ou de philosophe. Il se tenait immobile, solidement planté sur ses quatre pattes. Il me regardait droit en face. Sa tête au large front était tournée vers moi. Ses yeux ne me posaient aucune question : Il m’attendait.
Chacun est libre d’interprêter les choses à sa façon. Chacun les ressent comme il le peut. Pour ma part, en général, je ne cherche pas à prêter aux évènements des intentions particulières. Je ne me prends pas pour Saint Paul sur le chemin de Damas. La chose serait tentante cependant. Il n’empêche, lorsque je me relevai, le chien se tourna et prit le Chemin. Comme l’autre, il allait devant. Celui- là ne courait pas, ne se roulait pas dans l’herbe des bas-côtés. Je l’ai dit : C’était un sage. Il marchait. Il marchait régulièrement, assez lourdement, sans tourner la tête, sans me regarder. Vu de derrière, il semblait que sa colonne vertébrale ondulât et sa lourde queue battait. De crainte, encore, qu’il ne s’égarât en s’éloignant par trop de chez lui, je ne lui parlai pas. Je ne le caressai pas. D’ailleurs, il maintenait les distances, comme celui que j’avais rencontré quelques jours aupa ravent. Il allait … Deux ou trois fois seulement il s’assura que je le suivais bien. Nous marachâmes ainsi, l’un suivant l’autre, jusque sur les hauteurs qui dominent Aroue. Nous avions parcouru ensemble plus de vingt kilomètres. Nous étions parvenus dans une prairie qui dévale une pente. : Herbe haute et grasse. Pour la première fois, le grand chien blanc s’était arrêté. Il ne s’était pourtant pas assis. De toute évidence, pour la première fois, il m’attendait. Nous nous trouvions devant une haie impénétrable. Il y avait là un petit portillon sur les montants duquel on distinguait très bien les deux petits traits formant signe : L’un rouge, l’autre blanc : Signe rassurant … On est certain d’être sur les chemins de Compostelle ! Une petite pancarte nous prie de bien refermer le portillon après le passage … Le chemin descend vers une ferme et l’on aperçoit, en face, la colline sur laquelle s’élève Aroue. J’ai hésité : fallait-il fermer la porte devant le chien ou bien fallait-il le laisser passer à mon côté ?
La raison me disait que je devais l’empêcher de me suivre … Il me regardait et semblait certain que j’allais le laisser m’accompagner plus loin … Je retins en effet le battant. Ensuite, je refermai soigneusement.
Deux rencontres semblables, à quelques jours d’intervalle … Sur le même chemin … Celui de Saint Jacques ! … Trouver à cela quelque signification … Pour que le geste se fasse signe, il faut avoir même langage, mêmes modes de pensée … Les hommes et les chiens ont une longue habitude de vie commune. Ils partagent beaucoup de choses … Mais encore ?
D’aucuns ne diraient-ils pas que ces chiens n’étaient que des envoyés ? – Des envoyés de qui ? – Pour quel message, dont quelle serait la nécessité ? – Quel langage parleraient ces messagers ? … Certains franchiront le pas … Cela ne m’est jamais venu à l’esprit … Et d’abord, ce serait grande vanité que de croire qu’un message pourrait m’être destiné, à moi. Les messages, c’est en moi-même que je dois en trouver les contenus et c’est dans mon propre langage que je dois les déchiffrer. Les nuages ne se déchireront pas pour me dévoiler le Ciel.
Compagnons à quatre pattes, nous avons cheminé ensemble. Peut-être encore à ce jour attendez-vous le premier pèlerin, au bord du Chemin de Saint Jacques, dans les lueurs du petit matin … Lorsque j’évoque votre souvenir, je pense immanquablement à Saint François.
Alors que je descendais le raidillon qui conduit à la ferme, une énorme voiture tout terrain montait vers moi à grand bruit. Son conducteur l’arrêta à ma hauteur et, avant de m’avoir adressé la parole, il se mit à invectiver le chien ;
- « Retourne chez toi ! Qu’est-ce que tu fais encore ici ? – Tu vas faire occasionner un accident, un de ces jours ! »
Le chien s’en est allé. Il a trouvé quelque trou dans la haie, certainement … Je ne l’ai jamais revu. Avouerai-je que j’en veux encore au fermier ?
Jack, qui me rejoignit le lendemain à Saint Palais, me dit :
- « Après Navarrenx, j’ai rencontré un grand chien blanc. Il m’a accompagné jusqu’à Aroue. Il ne m’a quitté que parce que le fermier l’a chassé ! »
Le pèlerinage est fini. Une fois revenu par le train jusqu’à la maison, ayant laissé passer le temps afin que se décantent les sensations … C’est ainsi que se présentent les souvenirs …
Non pas relation chronologique d’une équipée, non pas suite d’événements qui, par eux-mêmes n’ont aucune importance, ou si peu ! - On voudrait sans doute mieux dire la beauté des paysages : La chaîne des Pyrénées, vue du balcon d’Arthez-de-Béarn … Pics, cols, vallées, neiges halogènes, versants verts et bleus … On voudrait mieux dire. On voudrait tout dire. Mais c’est d’un pèlerinage qu’il s’agit, pas d’une randonnée. On voudrait surtout mieux dire les émotions, nombreuses.
Je rabâche un peu, Nathanaël ? Je rabâche, reprends et redis ? … Mais c’est ainsi que naissent les pensées du pèlerin. C’est ainsi que je marche, d’un mouvement sans cesse repris. Nées dans le désordre, les pensées ressurgissent dans le désordre, se reprennent l’une l’autre, se renforcent, se modulent, se complètent.
Que t’importe de savoir si j’ai eu mal aux pieds, si le sac était lourd, si j’ai réussi à bien dormir aux étapes ! Que t’importe de savoir ce que j’ai mangé … Je te le répéterai avec toute la simplicité de mon cœur : Ce pèlerinage, c’est pour moi un grand bonheur. Fasse le Seigneur que j’aie la force, en avril prochain, de repartir vers l’Espagne !
LA VOIE DU SUD
Et c’est encore une fois la merveille du printemps ! Tu te reprends à rêver de résurrection. Te voici arpentant les ruelles de l’ancienne ville, emmêlées autant que l’écheveau du temps. Elles s’enroulent et les façades des hautes maisons furent blondes, autour du crime de l’amphithéâtre et de ses dégueuloirs. Il te faudra arra cher ton âme à ces pierres usées, à ces tombes ouvertes. Le long des Alyscamps les peupliers ne sont pas bleus, les ombres ne sont pas rouges. Les nécropoles sont noires, toujours.
Il te faudra passer le pont, franchir le fleuve qui enferme la mémoire. Hors des cloîtres ! Hors des basiliques et des églises ! On a fouillé le sol et le sous-sol. Ici l’on vend du saucisson d’âne ! … Mais le chemin passe entre des fossés où coassent les grenouilles, les vergers sont fleuris, tu es ivre de vent frais, ivre d’incertitude, ivre de liberté. Le marais est sec, gris, luisant pourtant. Au bout des rizières flânent de noirs taureaux : c’est encore le drame barbare auquel il faut que tu t’arraches … En perdras-tu le souvenir sanglant ?
La ville tragique a disparu dès le premier tournant. Le mas qui gère la manade se nomme le mas des bernacles. Passent canards en vol. Fleurissent les aigrettes blanches. Le héron est aussi immobile qu’un bois mort. Va ! Passe les ponts ! La voie solitaire rectiligne est sûre : Un fossé à droite, un fossé à gauche, des barrières et des clôtures. On a fauché les roseaux. Il pleut, ou plutôt il bruine, et cela suffit sans doute pour laver les avant-hier sur ton visage et sur tes mains. Tu pars vers des aubes plus anciennes, sans doute pour de nouveaux lendemains. Va ! D’autres sont passés avant toi, beaucoup d’autres, et d’autres encore passeront, sac au dos, le cœur ouvert. Tu n’es pas d’ici, va donc voir ailleurs !
Où donc, si ce n’est là-bas où se dresse je ne sais quoi de blanc, château d’eau peut-être, ou bien silo ? … Un clocher encore ? Dans cette contrée fluviale, bateliers et rouleurs ont bâti des sanctuaires de pierre. Allons, va, longe les canaux de béton, traverse ponts et passerelles. Ce n’est point là ton domaine : Ici se sont établis les marchands de fruits, marchands de céréales, marchands de vin. Tu n’es pas établi : Va plus outre dès demain, dans le petit matin ! … C’est toujours au petit matin que s’ouvrent les fleurs.
Tu chemines sur les os du temps, anguleux et durs. La borne milliaire n’est pas une limite, elle compte les pas… Il faut la dépasser, elle est là pour ça. Les chars romains ont creusé de profondes ornières sur les dalles, autre mesure du temps ! Il faut remonter encore plus avant, fouler les thyms en fleurs, les romarins, passer entre les près où piaffent les chevaux gris, longer les ruchers actifs, les vergers empanachés … Essaie de ne pas trop approcher la blessure de l’autoroute, évite les contrées envahies par les zones industrielles et commerciales et, si tu dois cependant t’y aventurer, fais-le en chantant. Cela fait partie du jeu, cela et le goudron… On finit par s’en extraire, va !
Mais la ville est là, monstrueuse, sillonnée en tous sens par des véhicules clos de toutes formes, de toutes tailles, bruyantes et sourdes. Vois ce qu’il y a à voir, peu de choses au reste, mais certaines admirables. Le plus vite possible, sors de là.
Je sais qu’un enfant assoiffé est passé par là. Il a échappé aux pendaisons et aux fusillades. Ses poches sont pleines de cailloux et ses poings sont fermés. Sale gosse ! Il a usé ses semelles sur les ossements qui jonchent tous les chemins du monde, crachant vers le ciel des blasphèmes et des injures : Autant de cris d’amour ! Il va droit devant, marchant vers des palais de cristal que l’instant détruit l’un après l’autre, dès le franchissement des portes : Tordeur de chaînes, porteur de torche, allumeur d’images … As-tu vu le lac bleu dans la vallée ?
Au long de l’étroit sentier, il t’a bien fallu pousser devant toi les moutons égarés, jusqu’à ce qu’ils trouvent dans la clôture le trou qui leur a permis de rejoindre le troupeau. Va ! La gourde est vide, mais tu finiras bien par trouver de l’eau !
Il y a plus de mille ans, le Diable a construit le pont… L’eau … L’eau et le temps ont creusé les falaises, gorges, gouffres, précipices. Combien de millions d’années a-t-il fallu pour que le fleuve en rut, saison après saison, s’enfonce dans ces cavernes et dans ces grottes ? Ô cascades claires, ruissellements, bouillonnements, brillances, éclairs, calmes et brusques mouvements ! Dans la fente du roc, l’homme a bâti le sanctuaire … Faut-il y croire ? … Ô, touristes, promeneurs traînant les pieds, montant la ruelle en mangeant des hamburgers ! Sous la voûte très ancienne, des vierges chantent des vêpres solennelles.
Les chemins en lacets montent aux falaises. Les caillasses roulent sous les pas ? Ah ! Le lézard vert serti sur la dalle de craie ! Immobile, les yeux d’or, paupières battantes, ocelles bleus sertis de noir … Mon frère le lézard aux flancs haletants … C’est rêver ! Il faut pourtant que tu montes. Ivresse da ns le ciel où moutonnent les collines vertes pressées. Le lac te regarde encore ; Il faut aller plus haut, plus loin, remonter l’espace et le temps. Ici, il reste des tertres de pierres empilées. Il faut aller ailleurs.
Pointe sonore du bâton…
Pur. Ah ! Pur ! Où, dans la roche ; où, dans le ciel ; où, le pur diamant ? Sur le tranchant des pierres, que l’on nous conduise aux déserts du sel, aux portes des monts de cristal !
Asphodèles, épines, le goût du fer et de l’anthracite à la fois … Pur et seul, et chantonnant tout bas des chansons très simples, des chansons d’innocents. Ah ! Très pur ! Lame claire !
Ce sera ensuite pays plus humain et plus civilisé, plus tendre. Il se révèlera sous la pluie. Après l’essor des flèches et des ogives, c’est retour vers le sol par l’arcade romane, vers le cœur de l’homme, retour sur soi. Marche dans tes pensées … Les terres sont peignées, apprêtées, les forêts ne sont plus les mêmes. Contrastes des couleurs… Ors des colzas … Vert frais des semis de maïs ou de blé, glauque des forêts de mélèzes puis ceux, plus légers, des bois de hêtres ou de chênes … Bruns et rouges des labours minutieux … Pour l’instant, la terre est à sa première toilette ? Ô, formes de l’esprit, semblables à ces jardins japonais, où à ces cloîtres d’antan, toujours peignés, toujours ratissés de neuf ! …
Caque chose à sa place et la place pour l’esprit ! Méditation, promesses de fenaisons très belles, de lourdes moissons, d’abondantes vendanges …
Puis c’est encore une très vieille cité, que domine sa cathédrale, vaste vaisseau dont la proue laboure depuis cinq siècles les mêmes vagues de pierre au flanc de la colline. Cité chargée d’histoire et de houles, garderas-tu la piété ? … En ce dimanche de printemps, un archevêque consacre un prêtre nouveau. Rare cérémonial, par les temps qui vont ! Pourpres, ors, blancs immaculés, onctions et chants … Le nouveau vicaire nous enseignera-t-il la jolie fleur de l’ancolie, celle du « dicentra spectabilis », dite « cœur de Marie ? Saura-t-il, par la création, nous conduire au Créateur ? Ô, Seigneur, donnez-nous des poètes et des prêtres, donnez-nous des poètes qui soient des prêtres, donnez-nous des médiateurs, des intercesseurs, des introducteurs ! … Ô, que le prêtre nous apprenne à voir ! … Mais, pour nos enfants, y aura-t-il encore des prêtres, y aura-t-il encore des poètes ?
Dans les travées de la cathédrale, exceptionnellement remplies, se presse une foule de vieillards. Les officiants sont plus vieux encore, quoique nombreux. Nos enfants connaîtront-ils encore les noms des Saints, les noms des fleurs, ou bien inventeront-ils d’autres voies, d’autres chemins ? … Il est temps encore, mais que l’anabase, vite, s’accomplisse ! Que l’on assure la fondation de villes neuves et pures !
De la vieille cité, il te faudra sortir encore. Tu reprendras le chemin que les pluies ont noyé. Tu peineras, tu glisseras, tu chuteras. Un matin, pourtant, le voile se déchirera, le nuage s’ouvrira. Alors, au détour d’un champ, à la sortie d’une forêt, à la crête d’une colline, au sortir d’une pensée surprise, la beauté de toute une chaîne de montagnes encore couronnées de neige se manifestera, remplie de lumière. Elle s’impose à l’évidence. On ne la discute pas ? Ombres et clartés … On admire !
Peut-être bien que tu auras alors trouvé ce que tu cherchais dans ce long voyage ?
Marcheras-tu jusqu’au champ des étoiles ? Qu’y trouverais-tu, autre qu’une très vieille légende ?
- « Eh ! Qu’importe ! … Croire ou douter, c’est exactement la même chose, après tout, n’est-ce pas ? … Seule l’indifférence est impie.
En ce qui concerne le choix du moment, je pense qu’il était judicieux. Du reste, en l’an deux mille, j’ai persisté. Certes, il pleut assez souvent, en avril, mais la chaleur n’est jamais accablante. Les vacances de Pâques sont incluses dans cette période, donc, pendant huit à dix jours, on rencontre beaucoup de monde sur le chemin. Cela n’a rien de comparable aux foules de jeunes qui marchent pendant les mois d’été. Dans les gîtes d’étapes, au début du printemps, on trouve encore des places. Il ne m’est arrivé que deux fois d’être obligé de coucher à l’hôtel ou d’occuper une chambre d’hôtes. Il faut pourtant se méfier : Sur l’itinéraire français, les marcheurs ont, de plus en plus, pris l’habitude de réserver leur place dans les gîtes par téléphone ou par courrier. De plus, il arrive souvent qu’ils marchent par groupes constitués, se faisant suivre par des voitures qui portent leurs sacs et leur ravitaillement … Un seul de ces groupes, ayant retenu à l’avance, peut remplir un gîte. Lorsque vous arrivez à l’étape, fourbu, avec votre sac sur le dos, vous pouvez aller chercher ailleurs !
Je conseille de ne pas suivre mon exemple, en ce sens que j’ai commencé, la première année, par parcourir le chemin espagnol … La seconde année, j’ai emprunté le chemin français … J’ai ainsi pris les choses à l’envers. C’est, je crois, la cause essentielle du changement de nature de mes sensations. Mon itinéraire, la seconde fois, empruntait bien le chemin de Compostelle, mais il se terminait à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il ne conduisait pas à Saint Jacques. Je ne l’aurais pas cru, mais cela change tout. Disons que, cette année, sur la via Podensis, le sentiment de spiritualité n’était pas le même … Je n’ai pas senti le Chemin aussi « porteur ».
Il faut que je m’explique sur mes choix et ma démarche. Ils paraissent stupides au premier abord … Lorsque je me suis mis en marche pour la première fois, j’avais soixante-sept ans. Je m’étais bien entraîné pendant plusieurs mois, mais je n’avais jamais parcouru un aussi long trajet à pied. Je craignais de ne pas arriver jusqu’au bout et, par ailleurs, je me croyais fondé à penser que mon âge n’était pas garant de mes possibilités en ce qui concernait l’année suivante ! Je voulais absolument aller à Saint-Jacques. J’ai donné toutes ses chances à la réalisation de ce désir en commençant par l’itinéraire espagnol :
« Si je réussis, l’an prochain j’essayerai peut-être de faire le tronçon qui va me manquer … »
J’ai réussi. Aller à Saint-Jacques a été un grand bonheur pour moi. L’année suivante, je suis parti du Puy-en-Velay et je suis allé jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, ce qui m’a pris vingt-quatre jours en prenant le départ le premier avril.
Il est vrai, et je vais tenter de m’en expliquer, que les impressions, cette fois-ci, n’ont pas été du tout les mêmes. Je veux dire tout de suite ici que, néanmoins, pour la seconde fois, j’ai éprouvé beaucoup de joie sur le chemin de Saint-Jacques. Je vais maintenant vers mes soixante-neuf ans et, cette année, il est certain que, si Dieu m’en conserve les forces, je repartirai, début avril, sur les chemins de Saint-Jacques. Mais, cette fois, j’essaierai de prévoir mon itinéraire de telle façon qu’il aboutisse bien à Compostelle. C’est à cette condition que je me sentirai pèlerin plutôt que randonneur !
*
C’était un chien très élégant, à la robe d’un beau brun qui s’éclaircissait sous le ventre. Il avait aux pieds des chaussons noirs. À trotter ainsi d’un côté » et de l’autre, il parcourut au moins trois fois plus de kilomètres que moi. Je trouvais qu’il s’éloignait beaucoup de chez lui et je m’inquiétais.
- « Savez-vous à qui appartient ce chien ? »
Du haut de son tracteur, un cultivateur me répondit :
- « Ne vous inquiétez pas pour lui. Tout le monde le connaît. Tous les jours, autant que le Bon Dieu en fait, il suit les pèlerins. Mais il va s’arrêter au prochain village. Il reviendra ensuite chez lui. »
Si j’avais eu quelque illusion, je l’aurais perdue ici : Ce n’était pas moi que le chien attendait devant l’école, là où je l’avais rencontré. Je n’étais que le pèlerin que le hasard avait fait passer, sans doute, le premier ce matin-là. Comment affirmer que je n’étais pas un peu déçu ?
Comme je ne voulais en aucun cas être la cause de son égarement, trop loin de chez ses maîtres et comme je voulais encore moins qu’il puisse lui arriver un accident, je ne lui adressai même pas la parole. Je n’esquissai pas la moindre caresse. Je ne l’aurais pas pu, d’ailleurs, car il trottait au-devant, je l’ai dit, jamais à mon côté. Mais je savais bien que nous étions compagnons.
Nous passâmes le premier village. Je guettais du coin de l’œil, en faisa nt mine de ne pas le regarder. Le chien tourna entre deux maisons, puis il passa outre … Sans erreur aucune : C’était toujours le chemin de Compostelle qu’il suivait. Je pensai un peu au loup de Gobbio … Mais je ne suis pas Saint-François-d’Assise et je n’apprivoise ni les chiens ni les loups. Je me gardais toujours de lui adresser la parole … Et s’il lui prenait la fantaisie de m’accompagner pendant plusieurs jours ? … Que ferais-je d’un chien à mon arrivée au bout du chemin ? J’avais encore de la route à faire, car j’avais décidé de n’arrêter mon périple qu’au pied des Pyrénées, à Saint-Jean-Pied-de-Port.
- « Ne vous inquiétez pas. Il va vous abandonner dans peu de temps. Il n’ira pas plus loin que l’église du hameau prochain … »
C’était le même cultivateur que celui que j’avais rencontré tout à l’heure, toujours perché sur son tracteur. Il me dépassa et entreprit de monter la côte sur laquelle je peinais. Je ne suis pas un bon grimpeur. Tout en haut, le chien attendait, assis sur son arrière-train. Pour la première fois, il me parlait, et c’était bien à moi qu’il s’adressait :
- « Alors … Tu viens ? »
Il fut patient. Il m’attendait, mais au moment où j’allais le rejoindre, il disparut dans la haie. Je passai mon chemin … Je marchais toujours sans me retourner … Je finis bien par me retourner tout de même. Je croyais trouver le chemin vide … J’éprouvais déjà une sensation d’abandon … Comme un peu d’amertume … Et puis il reparut, émergeant d’un champ de blé. M’ayant dépassé largement, il s’arrêta, prit le temps de se rouler dans l’herbe mouillée, les quatre pattes en l’air, se tortillant pour se frotter le dos. Il reprit son trottinement. Nous passâmes encore devant plusieurs fermes, devant quelques hameaux, au milieu de quelques villages … Il me précédait encore lorsque j’arrivai en haut de la côte qui débouchait sur les premières maisons d’Arthez-de-Béarn. Je commençais à me demander si je ne devais pas le conduire jusqu’à la gendarmerie pour qu’il soit rendu à ses maîtres … Comment ne pas craindre pour lui alors qu’il s’était éloigné de plus de vingt-cinq kilomètres , marchant devant moi pendant près de six heures ? … En même temps, cette idée me donnait mauvaise conscience :
À la gendarmerie ? … Ce compagnon qui m’avait guidé si longtemps ? – Je me faisais un peu l’effet du traître qui livrerait son ange gardien … Car il avait été mon ange gardien et m’avait remis plusieurs fois sur le bon chemin alors que je cherchais mes marques. Il m’avait attendu en haut des côtes. Il s’était couché de l’autre côté de la route pendant que je mangeais mon morceau de fromage, assis sur une roche. Le museau entre les pattes, il était resté immobile tout le temps que mon repos avait duré. … Puis il était reparti en même temps que moi, sans rien demander …
Je n’eus pas à résoudre le problème … lorsque je touchai à la première maison, je m’aperçus tout à coup que le chemin était vide … Vide devant, vide derrière moi. J’attendis un instant. Mon compagnon avait disparu. À quel moment exact était-il parti ? Je ne devais plus le revoir …
Rencontrant un pèlerin qui était passé par là un jour plus tard :
- « C’est incroyable, me dit-il, J’ai rencontré un chien qui a marché avec moi toute une journée … »
Marches-tu encore, compagnon auquel je me suis bien gardé de donner un nom ? – J’aime à croire que tu marches … Peut-être t’es-tu décidé à poursuivre jusqu’à Saint-Jacques ? Ou bien ton rôle est de guider, chaque jour, le pèlerin qui passe d’Arzacq-Arraziguet à Arthez-de-Béarn ? … Car tu as bien un rôle, n’est-ce pas , et je ne t’ai pas tout à fait rencontré par hasard ? ..
*
Nathanaël, tu rencontreras l’apôtre Saint Jacques tout au long de ton périple. Il prête son n om à beaucoup d’églises majeures, dans un grand nombre de villes. Sa statue figure ici et là, sous les voûtes romanes et sur les calvaires des chemins. Ses attributs sont gravés dans la pierre dure de la Margeride, dans le calcaire tendre des Causses, dans le grès et dans le schiste … Les coquilles découvertes ici ou là, gravées sur les frontons ou sur les murs, parfois loin de tout chemin balisé, attestent la multitude des itinéraires que les pèlerins ont suivis depuis les alentours de l’an mille : Rue Saint Jacques, Rue Compostelle … Tu mets tes pas dans ceux des Jacquets. Plus loin, en terre d’Espagne, Saint Jacques prend le nom de Sant Iago … C’est vers santiago que tu marches, vers Santiago de Compostella. Aux alentours de l’an huit cent treize, la sépulture de l’apôtre est découverte dans le « Champ des Étoiles ». Selon la tradition, l’ermite Pelayo, instruit par un songe, aurait identifié l’endroit grâce à des lueurs dans la nuit … « Campus stellarum » - le « Champ des Étoiles ».
L’abondance des signes jacquaires ne te surprendra pas : Tu es sur le chemin de saint Jacques. Ce qui te surprendra plus, peut-être, ce sont les références à saint Roch, dont la fréquence est continue … C’est incroyable, le nombre de chapelles de saint Roch que l’on rencontre ! … Tu sors de Conques … Il te faut passer un pont romain, puis grimper, grimper une pente raide, par le fond d’un petit torrent caillouteux, entre des buissons et des arbres serrés. Tu émerges du noir ravin, tu trouves une chapelle dédiée à sainte Foy … C’est bien le moindre, puisque ce sont les reliques de sainte Foy qui ont fait la gloire de l’abbaye de Conques … Mais un peu plus loin, sur le bord de la route, tu trouves une seconde chapelle … Lorsque je suis passé par là, des bénévoles du village voisin travaillaient à sa restauration … Elle conserve des traces d’ouvertures romanes.
- « C’est la chapelle de Saint Roch, nous a dit un maçon. Nous ne voulons pas la voir tomber. Nous tenons à notre patrimoine ! »
Mais tu en as rencontré bien d’autres, Nathanaël , dédiées au même saint patron, et tu en rencontreras bien d’autres encore. Dans de nombreuses églises, tu verras des statues : Saint Roch et son chien, jamais l’un sans l’autre. Saint Roch est le patron des pèlerins Il fut lui-même, au quatorzième siècle, un grand pèlerin. Ses statues le représentent toujours avec le bas de sa robe relevé : Il montre la plaie de sa jambe. On l’invoquait contre la peste et les maladies contagieuses. En tout cas, lorsque tu rencontreras Saint Roch … Chapelle de Saint Roch ou statue de Saint Roch …. Tu peux être certain que tu te trouves bien sur le chemin de Compostelle … À moins que tu ne sois sur le chemin des « Romieux » … Ceux qui pérégrinaient en direction de Rome et du tombeau de saint Pierre …
Mais dis-moi, toi que voilà … Dis-moi quelle est ta plaie, que tu caches.
J’étais arrivé au Puy dans la soirée. Je m’étais installé chez les sœurs de saint François, dans la cité épiscopale, derrière la cathédrale. J’avais prévu de rester là pendant la journée du lendemain, car je voulais visiter la ville. Mais, au moment où je regagnai ma chambre j’avais déjà pas mal arpenté les ruelles et les raides escaliers qui s’entortillent autour de la cathédrale. J’avais repéré la rue Raphaël, la place du Plot, la rue Saint Jacques et la rue de Compostelle … Qui monte rudement ! J’avais vu la statue de Notre Dame de France, perchée sur le rocher Corneille, qui surplombe le couvent des sœurs. J’avais contemplé la chapelle Saint Michel d’Aiguilhe, juchée sur son piton de lave depuis le dixième siècle puisqu’elle a été bâtie par Godescalc, évêque du Puy, lequel, en l’an neuf cent cinquante, entreprit le premier pèlerinage à Compostelle dont la relation nous soit connue.
La cathédrale du Puy est un grand vaisseau aux arcades romanes. Ses voûtes sont ornées d’une série de coupoles octogonales. Sur le maître-autel trône une statue la Vierge Noire. Elle remplace celle qui fut brûlée par les révolutionnaires de mille sept cent quatre-vingt quatorze. Le Puy-en-Velay est un sanctuaire marial très ancien. C’est sans doute pour cela qu’il draine depuis toujours les flux des pèlerins venant de Bourgogne et du Sud de l’Allemagne. J’avais vu la « Pierre des Fièvres », large pierre de lave noire et brillante, plate … Elle est censée guérir ceux qui s’y couchent. On dit que cette pierre serait un ancien dolmen christianisé au cinquième siècle par une apparition de la Vierge …
- « Tu y crois, toi, aux miracles de la « Pierre des Fièvres » ? … - « Crois-tu aux miracles ? »
Non … Bien sûr .. Tu n’y crois pas et, de ton long cheminement sur le chemin de Compostelle, tu n’attends pas autre chose qu’une occasion de méditation sur toi-même et sur le sens de ta vie … Ce serait un miracle déjà, que tu en reviennes en ayant affermi ta foi et reconnu le Dieu qui conduisait tes ancêtres. Mais, dis-moi … Pourquoi, de ton pied que tu dis douloureusement touché par l’arthrose, pourquoi as-tu frôlé la pierre de lave ? …
Je me couchai, enveloppé dans mon duvet, car il ne faisait pas chaud en ce début de printemps ; À ce moment-là une sœur introduisit dans la chambre un pèlerin que je n’avais jamais vu. Il allait occuper le second lit, à côté du mien. Il était chargé de tout un barda, coiffé d’un large chapeau de cow-boy en cuir, couvert d’une longue cape imperméable. Une gourde ronde gainée de cuir pendait à sa ceinture. Il brandissait un lourd bâton fait dans un manche de pioche ayant appartenu,à son grand-père. Je devais découvrir plus tard qu’il était équipé d’une boussole … Passe encore pour la boussole … Dont il ne se servit jamais ! … Il avait aussi un sifflet à roulette, pour appeler au secours en cas de chute ! Il possédait encore un énorme thermomètre à alcool qu’il devait, en chemin, sortir de temps en temps de je ne sais trop quelle poche pour annoncer bruyamment :
- « Il fait dix degrés ! » … Ou plus … Ou moins …
Nous n’échangeâmes que peu de mots sur le moment. Il m’apprit qu’il s’appelait Jack ( avec ck …), qu’il était arrivé par le train, venant de la Meurthe et Moselle, qu’il était employé dans un établissement public et qu’il avait pris deux mois de congés sans solde pour aller jusqu’à Santiago.
- « Ô, toi que voilà, dis-moi quelle est ta plaie que tu caches … Quelle est la douleur qui t’as jeté sur le chemin ? »
Je sus tout de suite que je ne suivrais pas le plan que j’avais prévu. Dès demain matin, je partirai avec celui-là. Il est le compagnon que le destin m’a choisi.
- « Toi que voilà, ne me dis rien de plus et, si tu préfères garder secrète ta douleur, je respecterai ton choix, n’ayant moi-même nullement envie de raconter mes peines. »
N’est-ce pas là le premier des « miracles » du chemin de Compostelle ? – Ce qui vous fait plus riche, de jour en jour, kilomètre après kilomètre , n’est-ce pas la rencontre de l’Autre ? … Rencontre rendue bien aléatoire par les trépidations de notre vie moderne … Mon compagnon était nerveux, semblait-il, assez agité, parlant beaucoup. Je n’aime guère bavasser … Je m’endormis assez vite. Au point du jour, Jack était debout. Il fut vite prêt à partir …
- « Alors, on y va ? »
Le voici surpris : je lui avais annoncé que je ne quitterais Le Puy que le jour suivant. Nous étions le premier avril. Il m’avait dit qu’il avait choisi cette date en manière de défi, de provocation.
Va pour le premier avril ! … Nous voici traversant la cathédrale, puis dévalant ses volées d’escaliers Nous nous engageons dans la rue des tables, puis nous contournons la « fontaine du choriste ».
Les trois premières étapes seront longues et dures : Les ravins sont nombreux, au fond desquels il faudra tenter de ne pas débouler trop vite. Je recommande de bien regarder où l’on met ses pieds en descendant de Rochegude au fond de la saignée de Monistrol d’Allier. Je recommande aussi de retenir ses pas au cours de l’étape suivante, qui conduit au domaine du « Sauvage » … Elle est longue, longue … Surtout lorsqu’on marche sous la pluie ! À vrai dire il faudrait, pour se mettre en jambes, commencer le parcours en faisant des étapes plus courtes.Après Aubrac, cela va mieux : Le rythme est pris et le chemin descend dans la vallée du Lot, splendide, par Saint Côme d’Olt, Espalion, Estaing…Sans doute les plus beaux paysages, les plus jolies villes, conservées, intactes, depuis le haut Moyen-Âge … Au début d’avril, les arbres n’ont pas encore de feuilles et les fleurs sont rares … Vous le regretterez … Mais consolez-vous : De jour en jour, chaque matin en vous mettant en chemin, vous aurez l’impression de marcher au-devant du printemps. Nous avons assez vite trouvé des lilas en fleurs, mais il aura fallu attendre l’arrivée à Moissac pour voir des feuillages aux branches. Nous nous sommes égayés aux buissons de buis. Nous avons arpenté le Rouergue, le Quercy caillouteux et désert, passant entre les chênes truffiers désespérés dans leur nudité grisâtre.
Tout à coup, et sans nous y attendre, nous voilà au cœur de Conques … Après avoir boitillé dans les galets d’un petit ru qui joue les torrents, entre deux haies de buissons cachant le ciel …
- « Où sommes-nous ? »
- « À Conques, pardi ! »
Par chance, nous sommes passés là un jour où il n’y avait que très peu de touristes. Il paraît que, certains jours, c’est insupportable ! Pour le lendemain, une fête folklorique est annoncée … Nous nous sommes sauvés très vite !
Conques est une incroyable agglomération, surgie d’un livre d’histoire accrochée en gradins au flanc d’un ravin profond. Maisons à colombages, murs de schiste, façades en encorbellement, toits pentus … De cet ensemble émergent les clochers de la basilique, la tour du château d’Humières avec ses fenêtres à Meneaux, la porte de Vinzelle p r où partaient ls pèlerins … Nous avons logé chez les frères de Prémontré, tout de blanc vêtus. Ils gèrent un gîte auquel il faut accorder trois étoiles, sans hésitation !
La basilique, bien sûr … Mais, de Conques j’ai d’abord conservé lz souvenir obsédant d’un arbre seulement, un arbre nu, un arbre en tenue d’hiver encore … Arbre antique, plusieurs fois centenaire, peut-être millénaire… Dans sa pleine vigueur en tout cas. Tronc noueux, écorce gercée, branches torses, loupes et cicatrices … Pourquoi les arbres antiques ont-ils toujours suscité méditation, culte souvent ? … Il y a en nous sans doute, quelques traces des cultes celtiques … Où bien ces cultes eux-mêmes traduisaient ce qu’il y a de plus profond en l’homme ?
Chêne ou frêne, hêtre ou châtaignier, l’arbre est tutélaire. Il découpe la lumière, il crée le paysage. Il a le temps pour lui. C’est le symbole du père. Il rassure, il abrite. Il chante dans le vent. Il est rempli d’oiseaux qu’il nourrit. Il est force, il est vie. Endormi pendant tout l’hiver, il ressuscite au printemps, plus fort, plus jeune, plus vif. L’arbre : symbole christologique ?
De la traversée de l’Aubrac, je conserve peu de souvenirs forestiers. Nous avons bien rencontré des mélèzes et des sapins avant d’attaquer la traversée des plateaux, mais ensuite nous avons marché au fond de sentiers creux, remplis d’eau. Nous avons, aux environs du « Moulin de la Folle », pataugé dans des sols spongieux. D’énormes blocs de granit, amassés au cours des âges, s’alignent en murs gris qui semblent infinis. Par endroits, ils paraissent les ruines de cités préhistoriques … Sur des kilomètres et des kilomètres, pas une maison et, en cette saison, pas une bête, pas un homme …
Nous passons Nasbinals, dont nous contournons la très belle église : murs de basalte brun, toits de schistes. Quitter ensuite la route goudronnée pour prendre un chemin bordé de hêtres nus … Mais de cela, je n’ai point trop souvenir … J’ai souvenir de la tempête de neige qui nous prend : Nous avons marché pendant des heures en courbant l’échine, en pataugeant dans l’eau que recouvrait mal la couche neigeuse. Nous pressions nos gants qui s’imbibaient d’eau. Je tombe … Chaque fois, mon compagnon m’aide à me relever : Il n’est pas si facile de se remettre debout, quand on porte sur le dos un sac de douze kilos ! … Les marques servant de balisage, pour la plupart, ont été peintes au sol, sur la roche. Elles sont recouvertes de neige. Nous longeons un alignement de hêtres, puis un long empilement de pierres qui forment mur … De hautes perches sont plantées ça et là , supportant des étiquettes dont les indications sont peu distinctes et confuses. Plusieurs chemins se mêlent. Le soir approche ;… Je n’aurais pas du tout aimé passer la nuit sur ce plateau ! Nous arrivons à l’étape et nous passons la nuit à l’hôtel, où nous sommes séchés et choyés. À Aubrac, il n’y a rien ou à peu près rien … Le gîte aménagé dans ce qu’on appelle la « Tour des Anglais » n’est ouvert qu’à partir du mois de mai parce qu’il n’est pas chauffé. Mais, souvenez-vous bien de cela : à l’hôtel « Le Royal », ouvert en toutes saisons, le Chef vous sert un excellent aligot !
Jack est plus jeune que moi. Il n’a que cinquante ans. Il est capable de marcher très longtemps, sa cadence est vive, sèche … D’habitude, il marche devant, à un bon kilomètre de moi, parfois plus. Il s’arrête de temps à autre et m’attend. C’est un excellent compagnon, discret, attentionné. Dans la traversée de l’Aubrac, nous allions de concert et ses encouragements soutenaient mes pas. Au fil des jours je comprenais mieux ses motivations pour ce pèlerinage : Il avait perdu successivement plusieurs membres de sa famille … Autant de chocs qui avaient déclenché une crise énergétique.
Au fond, c’était la rage qui le poussait, la rage et le besoin de se prouver qu’il était, lui, bien vivant et capable d’exprimer cette force, ce désir qu’il sentait naître en lui. Si je ne l’avais pas quelque peu bridé, il aurait couru beaucoup plus vite et il aurait brûlé les étapes. Il en était capable, je le vis bien lorsque nous nous aperçûmes, en arrivant à Durfort-La-Capelette, après Montcuq, que le gîte signalé par nos documents n’existait plus : Nous continuâmes jusqu’à Moissac et il marchait fort, longeant les platanes de la grand’route. Il avait marché très fort aussi, entre Vaylats et Montcuq.
Pour ma part, je ne passerai pas les cols conduisant à Roncevaux. Je les ai passés l’an dernier. Je suivrai, grâce aux communications téléphoniques relayées par son épouse, la progression de Jack en Espagne. Il accomplira certains jours des étapes ahurissantes de cinquante à cinquante-cinq kilomètres. Il fera le parcours des Pyrénées jusqu’à Santiago en vingt-deux ou vingt-trois jours !
- Mais … Quel intérêt peut-on trouver à marcher si vite ?
- Bonne question … Si le pèlerinage est une recherche spirituelle, peu importe au pèlerin la cadence de son pas. D’ailleurs, la pensée du marcheur s’exprime sur le rythme de la litanie … La litanie est répétitive et lente. Peu importent donc, dans ce contexte, les beautés du paysage, son éventuelle monotonie, sa diversité. La beauté, qui est une découverte de l’esprit naît de l’accord entre le corps, l’esprit et l’univers. Où est cet accord si la marche devient frénétique ? – Je sais bien que Jack n’est pas en retraite, lui … Je sais bien que la durée de son congé implique les limites du temps qui lui est disponible … Mais, sans conteste, Jack disposait de plus de temps que cela pour sa démarche …
- « Content, Jack ? »
- « Ô oui ! J’ai marché très fort et je suis heureux dans les grimpées montagnardes. Je m’ennuie, par contre, dans les longues lignes droites, là où le chemin s’élargit, sur le plateau de Castille … »
Heureux, Jack … Il s’est prouvé ce qu’il voulait se prouver. Il est allé à Santiago en un temps record, sans excessives fatigues, sans douleurs particulières.
Ah ! Le téléphone portable ! Pour un grand nombre de pèlerins, l’aventure est en train de changer de nature : Elle était détachement, coupure avec le quotidien, éloignement de la famille et des amis … C’était sans doute cet éloignement qui permettait de rentrer en soi, de faire le point, d’analyser son être au plus profond de lui-même, sans se regarder, pour une fois les miroirs des regards habituels … Le pèlerin équipé d’un téléphone portable n’est plus, là où il passe, l’étranger qu’il devrait être.
- « Bonjour, chérie. Je suis à quinze kilomètres de Saint Antoine. Il fait beau. Les nuages qui nous poursuivaient hier ont disparu complètement. Si tu savais comme le spectacle que nous avons sous les yeux est magnifique ! – Je vais essayer de te le décrire : devant nous, il y a une crête que nous avons presque atteinte. De là, nous découvrons pour la première fois la chaîne des Pyrénées … Les sommets sont couverts de neige … »
- « Bonsoir, mon petit. Tu diras à ta maman que tout va bien. Je voudrais qu’elle téléphone au cousin Bertrand pour lui dire que … »
- « Je suis à Saint-Jean-Le-Vieux. Nous ne sommes pas très loin de Saint-Jean-Pied-De-Port. Devant l’église du village, il y a une grande place, très belle. Il y a des réverbères. Ce sont les mêmes que ceux qui sont sur la place, devant chez nous : Tu sais, les réverbères qui sont fabriqués dans l’usine où travaille notre ami Julien ! »
Je ne critique pas. J’admets, même … Ce n’est pas ma démarche et je me demande, là-dedans, quelle est la place réservée à l’esprit. Mais je serais incomplet si je ne considérais pas que, quoi qu’il en soit, le chemin où avançait Jack n’était pas n’importe lequel : Il avait choisi le chemin de Compostelle …
Était-ce un hasard ? Était-ce le fruit d’une mode répandue par les médias ? – N’était-ce que cela ? – Je ne le crois pas. Jack marchait aussi pour d’autres … Un peu comme le faisaient certains, qui se faisaient payer, au Moyen-âge, pour marcher à la place d’un autre qui ne le pouvait pas. Jack ne se faisait pas rémunérer, loin de là : Il marchait pour les jeunes en difficultés, parrainé par une association à laquelle il se dévouait. Il leur téléphonait régulièrement, (à eux aussi !) pour leur indiquer où il se trouvait et ce qu’il voyait. Là-bas, en Meurthe et Moselle, ces jeunes le suivaient sur leur carte et, peut-être assimilaient-ils ainsi quelques notions d’histoire et de géographie ? – Ils développaient aussi sans doute leur désir de communiquer et les langages nécessaires aux échanges. Peut-être cela était-il efficace ? En tout cas, cela valait la peine d’être tenté.
- « Je voudrais bien, un jour, leur faire prendre le sac à dos et les emmener ainsi sur le Chemin, me disait Jack. Sans doute apprendraient-ils la joie de l’effort, que la plupart d’entre eux ne connaissent pas. Je voudrais cependant qu’ils puissent réfléchir à la notion que recouvre le mot « courage » … Je ne veux pas que l’on m’attribue du courage, puisque je fais ce que j’ai voulu et puisque j’y trouve du plaisir ! »
Brave jack ! J’ai aimé marcher avec toi. Nous nous sommes quittés à Nogaro, où ta famille était venue t’attendre et où tu as pris une journée de repos. Je t’ai attendu à Saint-Palais. Nous avons fait ensemble, encore, la dernière étape avant les Pyrénées, celle qui, passant par Ostabat, conduit à Saint-Jean-Pied-de-Port, celle qui est pour moi la plus belle, celle où j’ai le sentiment de marcher en plein ciel … Sais-tu que j’ai regretté de ne pas avoir continué avec toi en terre d’Espagne ? En pensée, j’ai marché avec toi … Mais si j’avais été réellement à tes côtés, nous n’aurions pas marché si vite … Je sais que tu m’aurais attendu, posant ton sac à terre chaque fois que tu m’aurais vu peiner en grimpant une côte …
Tu m’as surpris, jack, lorsque nous étions à Conques : Nous avions déposé nos sacs chez les prémontrés, nous nous étions engagés dans les ruelles du village, nous avions gravi des escaliers. Je t’ai mené jusqu’à la basilique Sainte Foy. Nous avons contemplé le tympan du grand portail. Il est
magnifiquement sculpté sur le thème du Jugement Dernier. Le Christ y trône en majesté. Autour de lui figurent les phalanges célestes, puis les justes, dont marie, Pierre et … Charlemagne ! Les anges poussent les méchants vers la trappe et les démons les prennent ensuite en charge. De petits curieux glissent un regard sous le bandeau de pierre qui souligne le tympan.
Faut-il donc toujours brandir la menace du Dieu terrible ? L’enfer existe-t-il vraiment ? S’il existe, comme concilier cela avec la notion du Dieu de bonté ? … presque toutes les religions brandissent, sous une forme ou sous une autre, la menace d’un enfer. Comment concilier cela avec l’idée de la toute puissance de Dieu ? Si Dieu est tout puissant, comment peut-on penser qu’il précipite les hommes dans les affres du péché ?
- « Ils sont libres », direz-vous.
- « Mais où est leur liberté, face à ce Dieu tout puissant ?
Je n’ai jamais réussi à dépasser cette interrogation. Il m’est difficile de concevoir un Dieu terrible de justice qui serait en même temps un Dieu de bonté … Pouvons-nous chanter « Nous irons tous au Paradis » ?
Les sculptures des églises composent des livres d’images, accessibles aux contemporains des sculpteurs ; les seuls accessibles sans doute à des hommes et des femmes qui, pour la plupart, ne savaient ni lire ni écrire …
L’Ancien Testament est un ensemble de textes très souvent terribles. Dieu y est Dieu de bonté, mais plus souvent encore Dieu de fureur ! Ces textes doivent-ils être entendus dans leur sens littéral ? Peut-on espérer que l’enfer n’est que l’invention pragmatique des sculpteurs et des prophètes ? … Leur conscience, forte peut-être, de la faiblesse humaine de l’existence … La menace, peut-être bien, n’était brandie que pour fortifier, rectifier, encadrer les conduites ?
- « Juste et craignant Dieu » !
Je crois que Dieu est Dieu de bonté. Je crois que l’homme est faible, mais je crois qu’il n’est aucun homme incapable de se ressourcer, d’avoir regret, de faire repentance … Je crois que, d’une manière ou d’une autre, en Dieu, tout homme est sauvé … Notre époque ne veut plus brandir la menace. Les esprits se sont ouverts et enrichis des apports de la réflexion et de la science. Dans nos sociétés, tout le monde ou à peu près sait lire et écrire … Sommes-nous pour autant certains que nous pouvons nous passer de la menace de l’enfer ? … Il y aurait beaucoup à dire à ce propos !
Je suis entré dans la basilique avec Jack. Il traînait les pieds. Je contemplais les arcades romanes, les chapitaux historiés, les fresques, les autels, les statues … J’étais quelque peu déçu par les vitraux, que l’on me disait modernes et auxquels s’attachait un grand nom : Celui de Soulage : Je les trouvais très pâles. Cela a pour mérite de laisser passer la lumière. Les églises romanes sont sombres, souvent. Tout à coup, je m’aperçus que Jack partait sans moi : Il avait fondu en larmes ! Je le rejoignis sur le parvis … Il pleurait !
- « C’est trop tôt, me dit-il … Je ne peux pas entrer dans une église … Il n’y a pas encore assez longtemps … »
J‘eus assez de discrétion pour ne pas lui demander d’explications. Je suppose qu’il pensait aux être chers qu’il avait conduits en terre récemment et dont la mort l’avait poussé au départ. Il refusa de visiter la salle où sont réunis les trésors de Conques : Tapisseries, tableaux, croix de processions … Le reliquaire de Sainte Foy, surtout, qui guérissait les aveugles et libérait les captifs, attirant à Conques, au cours des siècles, des flots de pèlerins venus de toute l’Europe. Je restai avec Jack et je n’ai donc rien vu de tout cela … Ce n’était sans doute pas essentiel.
À bien y réfléchir, j’ai, au cours de mon périple de cette année deux Mille, visité assez peu d’églises, contrairement à ce que j’avais fait l’année précédente en Espagne. Cela mérite réflexion.
Nous avons quitté la cathédrale de Notre dame, au Puy, sans assister à la messe. Il est vrai que nous avions, sous les voûtes, cherché le prêtre qui aurait dû se trouver là, selon ce qu’on nous avait dit. Il est vrai aussi que la messe devait être dite à une heure tardive, au matin d’une longue étape … Avons-nous eu d’autres occasions, que nous aurions manquées, d’assister à l’office ? – Oui, certes … Il m’en souvient : j’aurais pu assister à la messe à Arthez-de-Béarn, mais, à l’heure où elle était dite, et c’était le vendredi de Pâques, nous étions attablés dans une salle communale où une hôtesse nous servait le repas. Il n’empêche … Nous n’avons visité que quelques églises au hasard de notre parcours … À bien y réfléchir, d’ailleurs, et à posteriori, je crois bien que je suis allé visiter, seul, l’église de Lectour, celle de Condom … Quelle autre encore ? … À Moissac, Jack est entré avec moi dans l’église et dans le cloître : Je lui avais expliqué depuis longtemps le prix que l’on devait attacher à ces visites : L’incident de Conques m’avait averti …
Je ne crois pas, pour autant, que l’attitude de jack ait été la seule cause de la rareté de mes visites dans les églises rencontrées … L’année précédente, en Espagne, j’avais été beaucoup plus assidu. Est-ce à dire que, cette année-là, mon pèlerinage avait été placé beaucoup plus nettement sous le signe de l’Esprit ?
Je me suis interrogé sur la qualité de mes pensées. Étais-je bien en recherche ? Me suis-je bien senti, cette anné-là, aussi proche de Dieu ?
J’ai déjà dit que les rencontres faites avaient installé, tout au long du Chemin, un état d’esprit très différent. Le téléphone portable y était sans doute pour quelque chose. Mais j’avais marché presque constamment tout seul, Jack me précédant de loin. J’avais donc eu tout loisir de rentrer en moi-même pour poursuivre ma recherche … Qu’avait-il donc manqué, ou bien qu’y avait-il eu en trop ?
) la cassagnole, peu après Figeac, où nous ne nous étions pas arrêtés, nous avons rencontré un groupe de Bretons, venant de Vannes. Ils étaient quatre couples. Nous avions d’abord vu arriver une grosse voiture, dont les sièges étaient vides. Le conducteur s’était fait reconnaître par notre hôte, lui ayant rappelé les communications téléphoniques et les courriers par lesquels il avait retenu les places dans le gîte bien longtemps à l’avance. Il s’activa très vite : Il descendait du véhicule les sacs et les paquets. Il alla ensuite dans la cuisine pour préparer les repas de ses amis : En arrivant, ceux-ci n’auraient plus qu’à prendre leur douche, et à s’asseoir, les pieds sous la table … On nous expliqua que, chaque jour, c’était à tour de rôle que l’un des randonneurs prenait le volant de la voiture, tandis que les autres marchaient. Ils allaient, pour cette année, jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous fîmes connaissance, le soir venu. Ils étaient très sympathiques et nous offrirent une tranche de jambon. Le lendemain, nous nous aperçûmes qu’en fait, ils entamaient tous chaque étape en voiture … C’est une façon de faire … Et pourquoi pas ? … Je n’avais jamais envisagé une telle manière de pérégriner … Mais, au fait … Était-ce bien un pèlerinage, qu’ils faisaient ainsi ?
Un groupe d’amis, jouant un peu aux boys-scouts, chacun heureux d’être avec les autres … En soi, le projet nemanque pas de beauté … Trois semaines de plein air , d’amitié, d’exercice physique et … Bien que deux d’entre eux au moins se défendissent de toute motivation spirituelle :
-« Il n’empêche … Il n’empêche … C’est pourtant sur ce chemin-là que vous marchez, pas sur un autre ! »
Je me gardai donc de toute critique. À Gréalou, un auvent de toile attendait, tendu sur la place du village par celui qui conduisait la voiture. La table était dressée et la collation prête. Nous en avons profité pour remplir nos bidons : Il y avait longtemps que nous n’avions rencontré ni fontaine, ni robinet !
- « Salut, amis … Et rendez-vous ce soir à Cajarc ! »
Ah ! Bien oui ! … Le soir, à Cajarc, il ne restait pas de place pour nous au refuge : Elles avaient toutes été retenues par courrier, longtemps à l’avance, par nos amis randonneurs organisés. Nous devions, du reste, nous trouver dans la même situation à Nogaro, puis à Aire-sur-L’Adour. Dans ces cas-là, on se rabat sur les hôtels ou sur les « chambres d’hôtes », mais ce sont des solutions onéreuses …
« Tiens, j’avais pensé que les gîtes d’étapes, sur le chemin de Compostelle, étaient réservés en priorité aux pèlerins munis de la « credentiale » et justifiant ainsi de leurs motivations spirituelles ? »
« C’est le cas en Espagne, de Roncevaux à Santiago. Mais, après tout, la « credentiale » atteste-t-elle vraiment la spiritualité de la démarche ? – En Espagne, par ailleurs, les gîtes n’acceptent pas les réservations. La priorité est donc donnée au premier arrivant, avec une priorité toute spéciale pour les piétons, puis pour les cavaliers et les cyclistes … Mais cette solution, qui paraît au premier abord très judicieuse, est-t-elle vraiment meilleure au bout du compte ? … Il en résulte un évident caractère de compétition qui n’a que peu de choses à voir avec la spiritualité : C’est à celui qui prendra le chemin le plus tôt le matin, à celui qui marchera le plus vite … Pour arriver le premier au gîte et s’assurer une couchette …
Il manque à tout cela une dimension qui me paraît essentielle à tout pèlerinage de longue durée : L’abandon … L’abandon à l’aléatoire … Il me semble que, du jour où le pèlerinage commence, le pèlerin se place entre les mains de la Providence. La succession de ses pas se fait sans prévisions, sans calculs … C’est à cette condition que l’esprit fait son œuvre et parvient à sortir du temps pour vivre la durée … Ce qui est bien autre chose !
Cependant, ceux qui voyagent ainsi, en groupes, sont de plus en plus nombreux. Ils sont aussi de plus en plus nombreux, ceux qui se font précéder ou suivre par des voitures, ayant assuré gîtes et repas à l’avance … Faut-il le regretter ?
- « C’est le résultat d’une mode. Il est aujourd’hui à la mode d’aller à Compostelle, ou tout au moins de marcher sur les chemins de Compostelle … Cela passera. C’est le résultat de l’action des de la télévision, de la radio, des journaux …C’est l’effet des voyages pontificaux … Celui des cérémonies des années jubilaires … Celui encore, des « Journées de la jeunesse » … Cela passera … »
On pourrait aussi voir dans cette « mode » l’expression d’un besoin de spiritualité qui se conjugue avec une soif de retour à une certaine authenticité et avec un goût de l’exercice physique … Avec un appétit de découverte aussi … Dans ce cas, cette « mode » n’est peut-être pas près de passer … Peut-être n’est-elle au contraire que le premier signe d’une évolution ? Peut-être n’est-elle, au contraire que le premier signe d’expression d’un besoin de changement des objectifs de nos sociétés développées, jugées vides de sens et de naturel ?
Marche, marche, Nathanaël, marche sur le Chemin où tu te trouves. En haut de la côte prochaine, tu n’apercevras pas l’échelle de Jacob. Tu ne verras pas, de la vallée voisine, s’élever l’arbre de Jessé ? dans les cieux, tu ne verras pas tourbillonner les anges et les séraphins. La Madone ne t’apparaîtra probablement jamais au détour du sentier. Marche, c’est tout ce que tu as à faire. Fais-le. Le Chemin, c’est la vie : Nul ne te demande plus que d’atteindre la borne qui se trouve là devant … Une borne après l’autre, une côte après l’autre, un ruisseau, un ravin, une vallée, un plateau caillouteux, un village, une église … Tu passes et tu ne fais que passer, mais passe en sachant que tu n’es qu’un passant. Tu vas vers un ailleurs …
Tu interrogeais le seigneur et tu t’étonnais de ne pas avoir de réponse … Tu doutais …
- « Montre-nous Seigneur, où est le Chemin … Dis-moi où il va ! »
Pour l’instant, mets un pied devant l’autre, respire bien, décontracte tes muscles, reste souple … Laisser les images, les odeurs, les couleurs venir vers toi. C’est toute une suite de pays qui s’avancent, une suite d’idées, une suite de merveilles. La durée installe la souplesse. La fatigue ne se ressent plus guère. Cet arbre, là devant, on ne te demande que d’en atteindre le pied. Pour le reste, tu verras bien ce qui viendra après … Tu voulais faire de grandes choses ? Tu rêvais de devenir un apôtre, un saint, un martyr ? Tu aurais voulu avoir le cœur assez grand pour aimer le monde entier ? Tu aurais voulu avoir la force nécessaire pour venir en aide à tous les malheureux, pour effacer le malheur de la terre entière ? – Avance sur le sentier … Prends garde aux cailloux qui roulent sous le pied, aux ornières gorgées de boue dans lesquelles on glisse … Le Seigneur te demande d’aller – Va ! … Tu te plaignais que les rencontres de l’an dernier, sur le chemin d’Espagne, soient restées sans lendemain : c’est vrai, la plupart du temps, les compagnons de route se font reprendre, une fois revenus chez eux, par le quotidien. Il est rare que des relations solides se maintiennent entre compagnons pèlerins. C’est en tout cas l’expérience que j’en ai faite. Faut-il s’en plaindre ? … Il n’est pas certain que, pour autant, ces rencontres aient été stériles … En tout cas, celui que tu croises, si sa gourde est vide, donne-lui de l’eau. Si son sac est lourd, aide-le à le porter. S’il doute, offre-lui le réconfort. … C’est comme dans la vie : Le Seigneur ne demande pas le martyr à tout le monde … Il ne demande pas à chacun de renoncer à tout. Il ne te demande pas forcément d’être un saint. Il ne te donnera sans doute pas la grâce de l’extase, les stigmates du Christ, la vision de l’empire céleste … Il ne t’apparaîtra probablement pas au creux d’un rocher, au carrefour de deux chemins pour t’offrir la palme … Fais ce que tu as à faire, maintenant, là où tu es placé. Aide celui que tu rencontres, parle-lui … Sois humble … Passe, va …
- « Quand on fait ce qu’on peut, on fait ce qu’on doit. Mais fais ce que tu peux. Pense aussi à la vertu de modestie. Peut-être le plus grand saint est-il celui dont on n’a jamais connu le nom … »
Je tenais à rencontrer le Curé de Navarrenx. Tout le monde parle de lui, le long du Chemin. Navarrenx, cité surprenante, fortifiée un siècle avant la naissance de Vauban. J’y suis entré par une sombre poterne percée dans la muraille. Il pleuvait. Une femme me montra le chemin. Le Curé n’était pas chez lui. Aucune importance : Au téléphone il m’avait dit :
- « Si je ne suis pas là, vous entrez : La porte est ouverte. Vous montez l’escalier. La première porte à gauche est celle de la salle de bains, où vous pourrez prendre une douche. La seconde est celle de la chambre. Vous vous installez. Je serai à l’église. »
j’ai posé mon sac. J’ai pris une douche. Je suis allé jusqu’à l’église. Le Curé s’y trouvait … Une quinzaine de paroissiens …. (« Tiens tiens ! Des jeunes pour une fois ! ») … On préparait la visite de l’Évêque de Lourdes, prévue pour le lendemain, à l’occasion du baptême d’une jeune fille :
- « Un baptême d’adulte, c’est l’aboutissement d’une longue préparation. Cette jeune fille est venue demander le baptême. Nous l’avons accompagnée dans sa démarche. Nous avons fait ensemble un cheminement merveilleux ! »
Monsieur le Curé, merci pour votre accueil. À dire vrai, je suis reparti un peu déçu … Mais pourquoi ? … N’avons-nous pas été reçus devant la haute cheminée où flambaient d’énormes bûches ?
- « Nous nous relayons. Deux d’entre nous, chaque jour, à dix uit heures trente. Les paroissiens de Navarrenx accueillent les pèlerins et vident avec eux le verre de Jurançon de la fraternité. »
Déçu … Un peu … Mais qu’attendais-tu ? … En fait, je crois que tu cherchais un Curé pour toi, qui t’écouterait, t’accompagnerait, t’aiderait … Eh bien, qu’attendais-tu là ? … Le Chemin de Compostelle n’existe-t-il pas pour cela ? N’est-ce pas de lui que tu reçois la faculté de méditation et d’écoute ? C’est en toi que se trouve la ressource et en toi seul. Le Curé de Navarrenx était retenu pour d’autres accompagnements. Tu as partagé avec lui une boîte de sardines à l’huile et les restes de viande qu’il y avait dans le réfrigérateur. Tu as mangé la soupe aux légumes qu’il avait préparée. Il t’a quitté très tôt pour d’autres rencontres. Chez lui, tu as été chez toi. Tu es repartie le lendemain, au petit matin. À bien y réfléchir, c’est peut-être là que tu as appris que toute recherche ne pouvait qu’être personnelle et que le Chemin est chemin de recherche … N on, tu ne l’as pas appris là, mais tu en as reçu confirmation.
- « Et si l’essentiel n’était pas de croire, mais d’être en recherche ? … Est-il donné à tout le monde de croire ? »
c’est à Saint-Palais, au Frère Franciscain Jean-José que je pose la question. Il m’écoute, ne me répond pas. Sans aucun doute, il juge que je dois faire mon chemin moi-même, tout seul. J’en déduis qu’il n’est pas loin de penser que l’essentiel est de cheminer, de chercher … La grâce viendra ensuite, à l’un des détours du Chemin … Elle ne peut manquer de venir … Je ne crois pas à l’Enfer, je l’ai dit : Son existence serait contraire à toutes mes espérances.
Et d’abord, existe-t-il des hommes que l’on puisse ranger dans des catégories, sur les gradins dessinés par dante dans sa Divine Comédie ? – Je ne crois pas qu’une étiquette, quelle qu’elle fusse, puisse résumer la vie d’un homme : Nul n’est avare et seulement avare … Nul n’est orgueilleux et seulement orgueilleux … Si ce n’est dans les comédies de Molière. Je ne crois pas que l’on puisse dire :
« Celui-ci est un assassin, celui-là est un concupiscent, tel autre un voleur. » Une vie ne peut certainement pas être résumée ainsi et, au bout du compte, la pesée des âmes serait bien malaisée. Il suffit d’un instant de remord véritable ou de compassion pour effacer le poids des pêchés … Au bout du compte, l’essence d’un homme peut-elle se résoudre à la somme de ses actes ? Les sculptures du tympan de l’église de Conques et de celui de Moissac ne peuvent être que des symboles, destinés à frapper les esprits, à provoquer la réflexion, à rabattre les superbes, à éveiller les inconscients. Mais, peut-être y a-t-il, là encore, de ma part, présomption et inconscience … Qui pourrait le dire ?
- « Va, va ton chemin ! »
À celui qui cherche, tout est symbole, tout est signe. L’aveugle cherche ce qui peut faire signe. L’étranger cherche des signes. Dans l’inconnu, tout est signe. Comment croire une étoile ? – Chercher une voix ? – Chercher l’ombre d’un messager ?
Je cherche d’abord les signes qui, pour moi, font balises. D’autres les ont tracés à mon intention : Deux petits traits superposés, l’un blanc, l’autre rouge … Parallèles et horizontaux, ou bien, sur le chemin d’Espagne, une flèche jaune … Sur le tronc d’un arbre, sur le fût d’un poteau de béton, le piquet d’une clôture ou bien encore à l’angle d’un mur … Parfois, le balisage manque … Je cherche, je cherche … L’inquiétude finit par venir.
C’est toujours le Chemin, qu’il faut chercher pour le suivre. Souviens-toi de celui qui perdit la trace, en bas du col d’Ibaneta : Il marcha pendant dix heures dans la neige avant d’arriver à Roncevaux ! … Souviens-toi de ceux qui ont péri dans l’Aubrac, faute de trouver les signes.
J’ai beaucoup aimé les paysages de la haute vallée du Lot : Saint Côme d’Olt, ville superbe, installée dans son Moyen-Âge, d’autant plus belle que l’on y parvient au déboulé de la longue descente, après l’Aubrac … Villes surprenantes ! … Espalion , son pont aux multiples arches, Estaing, assise, de même, de l’autre côté d’un pont très ancien … Estaing et son curieux château que l’on croirait issu d’un rêve féérique … Mais accomplissais-je une randonnée touristique ou bien c’était un pèlerinage ? …
C’était un dimanche, lorsque nous passâmes à Estaing. Nous n’avons même pas essayé d’assister à la messe … D’autres, rencontrés plus loin, nous racontèrent qu’après s’être renseignés, ils étaient montés au château : Une communauté de religieuses l’occupe … Elles ne sont plus que quelques-unes. Nos pèlerins, après avoir vainement frappé à la porte entr’ouverte passèrent le seuil … Ils errèrent dans les couloirs déserts pendant une bonne demi-heure avant de rencontrer quelqu’un : Une sœur qui revenait de la chapelle où venait de s’achever l’office !
À Estaing, nous rencontrâmes un jeune pèlerin belge … Chose rare, il revenait de Saint-Jacques -de-Compostelle à pied, avec son sac sur le dos. Il était parti de son Brabant natal depuis près de trois mois. C’était un véritable athlète et il était, de toute évidence, en excellente condition physique … Que cherchais-tu, ami, sur le Chemin ? … Ultreïa ! … Ultreïa y Susseïa ! … Que le seigneur soit avec toi … Nous avons passé plus outre …
Où est le signe ? Pour que la chose prenne sens, il faut commun langage … Quel est le langage de Dieu ? Sommes-nous capables de le comprendre ? – Quels étaient les langages de ceux qui, avant nous, sont passés sur le Chemin ?
Croix de pierre, nombreuses croix, gravées ou non, très anciennes ou beaucoup plus récentes … Dans le Gers, j’ai vu des paysans … Ils sont fiers de leur état et ne demandent qu’une seule chose, à ce qu’il m’ont dit, c’est que les évolutions modernes ne les empêchent pas de conserver le mode de vie qui est le leur … Il y avait trois vieux avec leurs fils … Ils relevaient, à une croisée du sentier, une très ancienne croix de bois que la tempête d’hiver avait abattue.
C’était donc la seconde fois que je rencontrais des cultivateurs occupés à sauvegarder les témoins de leur passé. Au-delà de Conques, sur la voie de Decazeville, on relevait une chapelle de Saint Roch … Ici c’était une croix. S’agit-il d’autre chose que de l’effroi très réel et très compréhensible devant les bouleversements de notre époque ? … Elle voulait sauver sa ferme, cette femme qui, à Saint Antoine, avait ouvert un gîte d’étape et des chambres d’hôtes. Elle tentait de lutter contre la diminution de ses revenus, pendant que son époux continuait à soigner les vaches. Ils essayaient tous les deux, désespérément, de sauver leur mode de vie et leurs valeurs, ces hommes que j’ai vus peignant des slogans sur les routes pour protester contre les atteintes à leurs droits de chasse :
- « On chasse en février … On vote en 2002 ! »
*
Au-delà de tout ceci, au fil de la marche, passant entre les haies de buis, passant au long des interminables murs élevés, saison après saison, année après année, siècle après siècle, en ôtant les pierres qui parsemaient les champs et gênaient le soc des charrues ;.. Il faudrait parler de millénaires sans aucun doute … Interminables murs … Pierre après pierre, bloc après bloc, cailloux empilés … ET grâce à ceci, les champs sont devenus cultivables … Les voici maintenant, abandonnés souvent, livrés aux herbes folles, livrés aux ronces … Au-delà de tout ceci, je me demandais pourquoi la croix … Pourquoi la croix en tant que symbole du christianisme ? … Pourquoi la croix plutôt que le poisson que sculptaient les premiers chrétiens dans les couloirs des catacombes ? … Le poisson … Symbole de vie et de lumière …
- « Victorieusement, vainement gaîné, dégaîné. Victorieusement, vainement pénétrant, rond, huilé. Prisonnier de son huile comme de son acier. Le poisson est une espèce de mécanique (Un arbre, un piston, une navette) qui apporte dans le milieu où elle doit jouer à la fois son acier et son huile, sa dureté et sa lascivité, son audace et sa fuite, son engagement et sa libération …
- « Comme un court athlète dans son maillot à paillettes, poisson tenu en main étonne par sa vigueur, glisse avec brusquerie et force à le brandir – grâce à la prestesse et vigueur de ses réactions et de ce côté bandé à s’enfuir malgré sa cotte de mailles, parce qu’elle est huileuse, lubrifiée …
- « Son maillot de piécettes : comme de la monnaie-du- pape ( mais bleutée), de piécettes usées, atténuées (surtout sur un bord), bien assemblées en un corps en forme de bourse qui sait ce qu’elle veut : veut à tout prix s’échapper de vos doigts ! »
Francis Ponge, certes, serait bien surpris de marcher sur les chemins de Compostelle avec moi !
Le poisson, comme symbole de vie, de dynamisme, d’énergie … Ou bien le pélican : C’est aussi un symbole christologique : Le pélican qui nourrit ses petits de ses propres viscères … Mais c’est encore mourir ! – L’agneau, donc ? L’agneau, pur et sans tache ? … Mais l’agneau va être égorgé sur l’autel … Le fils de Dieu n’est pas mort, lui … Il est ressuscité ! Il nous a nourris, nous nourrit encore, mais il n’est pas mort : Le Seigneur est bien vivant et c’est le Seigneur vivant qu’il convient de célébrer ! … Alors, pourquoi la croix ?
- « Ils célèbrent un dieu crucifié et mort ! »
Le Seigneur a été crucifié. Il est mort. Il fallait qu’il mourût, puisqu’il s’était fait homme. Eût-il échappé à la mort, il n’eut pas été un homme. La croix, donc, est symbole à rappeler l’humanité du fils de Dieu, plutôt qu’à rappeler sa mort. Après la naissance dans une crèche, naissance des œuvres d’une femme … Il fallait la croix. Si le fils de Dieu a racheté nos pêchés, ce ne peut être que parce qu’il s’était fait homme et parce qu’en tant qu’homme, il a accepté de devenir pêcheur, comme tous les hommes. Mort sur la croix, il laisse sa condition d’homme et conserve sa condition divine.
Je préfèrerais pourtant un autre symbole christologique : Celui de la vigne. La vigne est symbole de vie, symbole de sève, dispensatrice du raisin avec lequel on fait le vin. Nue en hiver, elle se recouvre de pampres la saison venue. Elle est vigoureuse, elle s’accroche par ses vrilles, elle produit ce qu’il faut pour étancher la soif des hommes, ce quji va leur procurer la joie. Le symbole de l’épi de blé me conviendrait aussi : L’épi est vigoureux, érigé, chargé de grains … Avec le grain du raisin on fait le vin … Avec le grain du blé, on fait la farine, puis le pain … Le pain et le vin …
- « Fruits de la terre et du travail des hommes … »
Lorsque j’étais enfant … Il m’eut aidé, celui qui m’eut mieux fait comprendre que je suis homme … Et rien qu’un homme, c’est-à-dire un mortel. Je n’ai pas assez tôt compris pourquoi je suis pêcheur … Forcément pêcheur … Il m’eut aidé, celui qui m’aurait fait pieux comprendre que je puis être sauvé, mais que cela dépend de moi, de moi seul. Il m’eut aidé, celui qui m’aurait fait comprendre que mon existence ne s’inscrit pas dans le temps …
Le dieu Mithra, célébré mille trois cents ans avant la naissance de Jésus Christ en Perse, dont le culte se répandit ensuite en inde, en Grèce, et dans toute l’Europe par l’intermédiaire de Rome fut sans doute le premier qui enseigna que le salut se mérite, sur terre, par l’attention que chacun apporte à son prochain. Mais Mithra sacrifiait encore des taureaux sur des autels de pierre.
Le bouddhisme, dans sa forme dite du « Grand Véhicule » fait obligation de compassion et d’aide au prochain.
Abraham sacrifiait les agneaux, en faisait bruler les chairs sur les autels. … Un jour, il faillit immoler son propre fils …
Le fils se fait homme et nous apprend que le salut ne se trouve ni dans les sacrifices sanglants, ni dans les invocations. La prière nous aide, mais le salut se mérite dans la vie de chaque jour, dans l’action, dans la compassion, dans la charité. Voici la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament : De terrible, Dieu se fait fraternel ; d’éloigné, il se fait proche. Au lieu de nous demander des holocaustes et des odeurs de fumées montant vers un ciel lointain, il nous demande de nous aimer les uns les autres :
- « Ce que vous ferez pour l’un de ces petits, c’est à moi que vous le ferez. »
C’est pourquoi je pense qu’il n’y a pas de pêché sans possible rémission. Il y a toujours quelque chose à faire et, s’il doit y avoir sacrifice, ce sera vertu. Le prêtre n’égorge plus l’agneau. En quelque sorte, le Seigneur nous invite à renverser les autels et à regarder autour de nous : Le Paradis existe pour tous … Il est à la portée de chacun … Il se mérite par des actes et non par des paroles. Saint Jacques nous le rappelle, dans plusieurs de ses lettres … Saint Jacques … Et c’est pour entendre cela que je marche sur les sentiers jacquaires ! … La marche rythmant la méditation, la vérité en jaillit dans sa lumière.
-« Mes frères, à quoi cela sert-il qu’un homme dise : « J’ai la foi », s’il ne le prouve pas par par ses actes ? Cette foi peut-elle le sauver ? Supposez qu’un frère ou une sœur aient besoin de vêtements et n’aient pas assez à manger. À quoi cela sert-il que vous leur disiez « Au revoir, portez-vous bien, chauffez-vous bien et nourrissez-vous suffisamment », si vous ne leur donnez pas ce qui est nécessaire pour vivre ? - Il en est ainsi de la foi : À elle seule, si elle ne se manifeste pas par des actes, elle est morte . »
Saint Jean ne nous dit pas autre chose :
- « En effet, voici le message que vous avez entendu depuis le commencement : « Aimons-nous les uns les autres » … Mes enfants, il ne faut pas que notre amour consiste uniquement en discours et en belles paroles ; ce doit être un véritable amour qui se manifeste par des actes. »
Si notre époque, à l’orée du nouveau millénaire, hésite tant, et tant se cherche, c’est que nos sociétés ne sont plus ce qu’elles étaient : Petits groupes fermés, pastoraux ou ruraux, au sein desquels tout le monde se côtoyait et tout le monde se connaissait . Les hommes ont formé de vastes sociétés, qui tendent à n’en plus faire qu’une … Les vertus que le Nouveau Testament nous demande de valoriser et de pratiquer ne peuvent plus revêtir les mêmes formes. La charité tend à l’institutionnalisation : Prise en charge par les individus, puis par les communautés, elle finit par l’être par des organismes supranationaux. L’efficacité y gagne peut-être, encore que cela ne soit pas tout à fait certain : Les élans du cœur finissent souvent par y perdre en clarté. Par quel don de soi résoudrait-on, même, les difficultés de tous les révoltés, de tous les malheureux que l’on rencontre, écroulés aux porches des voies publiques ou brandissant le poing sur des barricades ? Il nous faut repenser la charité sans doute, mieux savoir la définir, mieux savoir tendre la main, accompagner …
« Mais tu n’es pas Mère Thérésa. Fais ce que tu dois … »
L’accompagnement est sans doute la notion à retrouver. Les chemins de Compostelle y invitent fortement. Il n’esrt de parcours qu’individuel, personnel. Chacun trouve en lui seul sa vérité. Mais nul n’est seul sur le Chemin … Ceux qui marchent en groupes constitués ne tentent-ils pas, au fond, un retour en arrière, un retour vers ces petites sociétés, les clans, les tribus, plus ou moins hiérarchisés, plus ou moins refermés sur eux-mêmes ? Ceux qui marchent seuls, résolument seuls, subissent, au moins pour la durée de leur périple la tentation de l’anachorétisme : Se sauver par la méditation solitaire. … Mais peut-on encore se sauver par la méditation solitaire ? Il reste la possibilité de cheminer en s’abandonnant à la Providence tout en restant ouvert à chacun, à ceux qui oeuvrent dans les champs, à ceux qui conduisent leurs machines sur les routes, à ceux qui rient, à ceux qui pleurent, à ceux qui marchent, à ceux qui sont en recherche, eux aussi …
J’ai rencontré Jane à Veylats : Jeune Américaine à l’allure sportive. Elle était là depuis vingt-quatre heures déjà, arrêtée dans sa randonnée par une tendinite … La tendinite est le fléau des marcheurs insuffisamment entraînés … Elle était désolée par la perte de son appareil photo, tombé sans doute dans la neige, entre Nasbinals et Aubrac. Elle enfila les bretelles de son sac à dos et partit avec nous au petit matin ? Nous avons cheminé ensemble jusqu’à Montcuq, puis elle nous a suivis jusqu’à Lauzerte. Elle marchait bien, les deux bras balancés en large mouvement car elle n’utilisait ni bâton, ni bourdon … Nous échangeâmes peu de paroles ? Aurais-je dû être plus proche ? … Nous marchions rudement ; Jack et moi ? Jane marchait bien aussi, ne se plaignant plus de sa douleur.
- « Rudes journées !», nous dit-elle.
Nous l’avons laissée là, au cœur de la bastide de raymond VI de Toulouse. Nous avons poursuivi jusqu’à Moissac, où nous sommes arrivés assez tard.
- « Je suis content, me dit Jack. La Providence avait placé Jane sur notre Chemin pour que nous lui tendions la main. »
Nous avons retrouvé Jane à Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle avait récupéré son appareil photo, ramassé par un autre pèlerin. Elle était heureuse, mais toujours aussi peu loquace.
À la cassagnole, nous avons rencontré Hélène et son mari … Belges tous les deux … Lui médecin, elle professeur d’éducation physique … Ils marchaient plus vite que nous.Nous les rencontrions dès qu’ils s’arrêtaient pour boire ou manger. Ils nous rattrapaient dès que c’était nous qui nous reposions un peu. Ils avançaient sur le chemin de manière assez curieuse : Dès leur arrivée à l’étape, le mari retournait en auto-stop à l’étape précédente pour ramener leur voiture. Sans doute craignaient-ils quelque incident ou l’épuisement de leurs forces … Ils firent bien, au bout du compte, car Hélène, elle aussi, souffrait d’une tendinite au moment de quitter Veylats … Ils durent interrompre leur marche et poursuivre en voiture jusqu’à Moissac. Nous nous sommes quittés à regret, la sympathie s’étant développée entre nous. Que sont-ils devenus ? … Nous ne les avons plus revus.
C’est cela aussi, le Chemin. Qui disait que le Chemin est à l’image de la vie ? … Quelqu’un marche à vos côtés, pendant quelque temps, puis il s’efface. Un autre vous rejoint, que vous n’aviez jamais vu, puis il marche avec vous. Celui-ci, vous ne le rencontrerez que le soir, à l’étape, mais vous savezque, tout le jour, il marche comme vous, soit devant, soit derrière. Celui-là était sur le Chemin avant vous et y restera plus longtemps que vous. On se rejoint, on se croise, on s’accompagne, on se quitte … C’est la vie … L’essentiel est de marcher …
Marthe et Monique, je ne sais plus si c’est à Condom ou bien à Eauze que je les ai rencontrées. Marthe venait du Nord de la France, Monique était Canadienne … Pardon, Québecquoise, précisait-elle. La Québecquoise était toute petite, mais agitée et volubile. Elle me saoulait dans un flot de paroles, surtout un flot de questions auxquelles elle semblait d’ailleurs n’écouter que fort peu les réponses. Elle racontait, du moins c’est ce qu’il m’a semblé comprendre, qu’elle était mère de deux petits-enfants, qu’elle travaillait dans la publicité, si mes souvenirs sont bons. Elle était divorcée, ou bien séparée de son mari … Je ne saurai jamais pourquoi, exactement, elle cheminait sur les voies de Saint Jacques. Je ne le lui ai pas demandé. Nous avons partagé deux ou trois repas du soir.
Marthe me parut d’une tout autre trempe : Assistante sociale, solide, blonde, radieuse ? À Navarrenx, lors de sa rencontre avec le Curé, elle était comme nimbée de lumière. Je crois avoir compris qu’elle cherchait sur le Chemin un approfondissement de sa foi et une meilleure connaissance d’elle-même. Elle se demandait si le Seigneur ne l’appelait pas. Je regrette d’avoir fui ces deux filles, tout au long des cinq étapes que je parcourus sans mon ami Jack, lui-même arrêté pour un temps à Nogaro. Marthe, dans mon existence, demeure un halo de lumière blonde.
Pourquoi me suis-je appliqué à leur échapper toutes les deux ? – Leurs rythmes n’étaient pas les miens : Elles partaient tard le matin, cheminaient en s’arrêtant souvent, bavardant beaucoup. Elles arrivaient tard le soir … Je les attendais à l’étape. Pour ma part, j’ai l’habitude de ne m’arrêter, vers midi, que quelques minutes, pour manger mon pain et mon fromage. Je pars très tôt. Je chemine à mon train, à peu près régulièrement. Je traverse les hameaux et les villes sans m’arrêter. Je peine souvent, dans les côtes. J’arrive tôt à l’étape et je me repose en vue du lendemain … Mais nous n’avions pas le même âge, ces deux jeunes femmes et moi ! … Je les ai revues à Saint-Jean-Pied-de-Port. Elles avaient l’intention de poursuivre jusqu’à Pampelune ou bien jusqu’à Burgos … Je ne sais plus …
La plupart de nos cathédrales sont relativement bien entretenues, encore que certaines d’entre elles souffrent de bien des escarres. Elles ont la chance d’être des monuments célèbres. Les églises sont parfois beaucoup plus en danger. Celle de mon village, dont la partie la plus ancienne fut construite au XI eme. Siècle, menace de s’écrouler : La nef est fermée au public depuis plus d’un an, sa voûte se fissure de jour en jour. Il est vrai que nos villages se sont dépeuplés … Certains d’entre eux sont quasiment déserts alors qu’ils sont blottis autour d’anciennes collégiales, d’anciennes abbatiales, d’anciens prieurés. La plupart du temps, les collégiales n’abritent plus aucun collège, les abbatiales sont désertées par les abbés, dans les prieurés, il n’y a plus de prieurs, souvent plus de nonnes, plus de moines, plus de frères … Il est difficile d’espérer qu’une petite commune vidée de ses habitants puisse assurer l’entretien de bâtiments dont les communautés ont disparu … Je pense à Sauvelade, entre Arthez-de-Béarn et Navarrenx … L’État prend la relève … En comptant ses sous : Il ne la prend qu’avec parcimonie, et seulement au bénéfice des édifices qu’il juge exceptionnels. C’est pourquoi les chapelles sont, la plupart du temps, laissées à l’abandon ou au bon vouloir des bénévoles. Ô ! Le nombre de petites églises, le nombre de chapelles dont murs et voûtes moisissent !
Il y a de moins en moins de prêtres dans notre pays. Comment le service de toutes les anciennes églises pourrait-il être encore assuré ? Les portes de chêne, sous les tympans richement sculptés, sont closes … Il le faut bien, tant les vols des objets sacrés sont devenus fréquents … La porte de mon église est encore ouverte, mais, depuis quelques semaines, il n’y a plus de prêtre desservant … Hormis pendant la période de le « Grande Révolution Française », ce n’était pas arrivé depuis l’an mille ! ….Ô ! Le nombre d’églises sans Curé !
Traversant les Grandes causses, le Rouergue, la Lozère, l’Aveyron ou le Gers, en avons-nous rencontré, des maisons aux fenêtres closes ! Il serait juste d’ajouter que plusieurs de ces bâtisses sont en cours de rénovation, mais ajoutons aussitôt que, de toute évidence, celles-là sont devenues des résidences secondaires, occupées pendant les vacances seulement.
Quelques hameaux connaissent un peu d’animation encore … Ce sont ceux auprès desquels fonctionne quelque école d’équitation ou quelque hôtel de plein air … Le reste ne vit qu’à l’instant du passage des randonneurs ou des pèlerins.
- « Mais parfois, me direz-vous, ces maisons-là, bien que fermées, sont tout de même habitées … »
Certes, il y a là un chien qui aboie furieusement, des poules qui caquètent, des vaches, qui paissent dans un pré clôturé et sous le hangar dort un tracteur … Mais, le plus souvent, les propriétaires ne sont plus cultivateurs qu’à temps partiel : L’homme est salarié pour conduire un camion ou un autobus sur les routes en dehors de la saison des champs, la femme travaille à la ville voisine en qualité de postière ou de caissière de supermarché . Les écoles sont fermées : Le car emmène les enfants à l’école de la ville. Le bras de la pompe est cadenassé et sue la fontaine qui coule encore on a posé une pancarte : « Eau non potable ! » au nom du principe de précaution. Veillez à remplir vos gourdes et bidons, avant le départ matinal !
À Vaylats, l’abbaye est encore habitée par des sœurs en grand nombre, mais ce sont des religieuses hors d’âge, retirées là pour y vivre la dernière partie de leur vie. À Conques, il y a encore des Prémontrés. J’en ai même vu un … Il portait unje robe longue immaculée. Il était grand et athlétique, jeune et il avait un sourire écla tant. Mais, dans la maison des Prémontrés, qui nous abrita pendant une nuit, nous fûmes accueillis par du personnel laïc … On dit pourtant qu’il y a un renouveau des vocations dans les monastères de France … Combien sont les Prémontrés de Conques ? … Chez les sœurs franciscaines du Puy-en-Velay, elles étaient quatre religieuses. Chez les Franciscains de Saint-palais, il n’y a plus qu’un seul frère. Dans l’église de Moissac, j’ai aperçu un prêtre, un seul, et il n’était pas jeune … Et pourtant … Moissac !
Et pourtant, de plus en plus de pèlerins arpentent les chemins de Compostelle. Les gîtes d’étapes sont de plus en plus nombreux …Vrais pèlerins ? … Randonneurs plutôt que pèlerins ? … Allez donc faire le tri ! … Certains, et ils sont foule, iront jusqu’à Santiago, d’une seule traite, d’autres s’y prendront à plusieurs fois. Il faut accorder à ces derniers le droit à la coquille.
Et pourtant, la chrétienté connaît bien un renouveau. Cela devient une évidence quand on voit le succès des pèlerinages, de tous les pèlerinages. Les jeunes accourent, fervents. Pourtant, les dimanches ordinaires, les jeunes ne sont pas là, dans les églises pour les offices … Lorsqu’il y a des offices.
Renouveau des mouvements charismatiques … Certains les tiennent pour suspects. Élan incroyable du jubilé de l’an deux mille … Foules en liesse pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, en quelque ville qu’elles soient organisées, en quelque lieu du monde … Succès non démenti des rencontres de Thaisé … Faudrait-il aussi tenir ces rassemeblements pour suspects ?
- « On a été bien accueillis par les Italiens. Le Pape avait rajeuni de dix ans ! « - Voilà tout ce que j’ai recueilli lorsque j’ai interrogé un garçon et une fille de vingt ans qui revenaient de Rome ! Faut-il pour autant être circonspect ou pessimiste ?
- « On a chanté. On a dansé … »
Oui, dans les « boîtes de nuit » aussi, on « s’éclate » … Les jeunes que l’on y rencontre sont-ils les mêmes que ceux qui sont allés à Rome ? – Que restera-t-il de tout cela ? Nous sommes à un tournant de notre histoire. Chacun le dit, pour le regretter ou pour exprimer un espoir. C’est une évidence, aussi bien en ce qui concerne les comportements qu’en ce qui concerne les échelles de valeurs … Bien malin celui qui dira ce que sera le monde dans quelques années, un monde que rétrécissent de plus en plus les moyens de transports et les moyens de communication ! Bien malin qui dira aujourd’hui ce que seront les sociétés , ce que seront les modes de production, ce que seront les loisirs ! Bien malin celui qui prophétiserait sur le devenir des religions ! – Je ne crois pas à l’affaiblissement des religions. Malraux disait que le vingt et unième siècle serait un siècle religieux, je le crois aussi, car je suis certain que les techniques ne font pas tout. Je ne suis pas certain que la libération du temps fasse tout. Les psychiatres, psychanalystes, psychologues sont de plus en plus nombreux, de plus en plus indispensables … Les angoisses sont de plus en plus fréquentes, mais aussi les quêtes, les recherches … Le développement des sectes, avec toutes les tromperies, tous les abus qu’elles exercent, signale-t-il autre chose que le besoin de croire ?
Curieuse période dans notre histoire ! – Il semble que l’église n’ait plus de prêtres. Elle dessert de moins en moins de temples, et ces temples, quand leurs portes sont ouvertes, accueillent de moins en moins de fidèles …
Il apparaît que les enseignements les plus fondamentaux de l’Église chrétienne sont ceux contre lesquels le plus grand nombre se rebelle … Ô , tout ce qui touche à la vie ! … Le pape, pourtant, attire des foules toujours de plus en plus nombreuses !
Notre Église deviendra-t-elle une société au sein de laquelle la communication se fera directement entre le Pape et les fidèles ? Les Offices seront-ils remplacés par des rassemblements sur la place saint-Pierre ? Au lieu d’écouter, dans les temples, les sermons des prêtres, le peuple se rassemblera-t-)il devant des écrans géants ? Interrogera-t-on le saint Père en « surfant » sur internet ? À côté de ceux-là qui se retrouveront pour chanter, sauter et taper dans leurs mains, n’y aura-t-il plus que ceux qui cherchent le silence et ceux qui marchent ? … Je veux espérer, je veux croire …
Je t’entends encore, Jean Brix, Prêtre, oblat de Marie-Immaculée, que j’ai rencontré au Laos et qui était mon ami. Tu pensais comme moi qu’il fallait commencer par donner aux peuples de quoi nourrir leur corps. Mais quelques mots, une fois, t’ont échappé … Ils ne sont plus sortis de ma mémoire :
- « Il n’est pas possible que le Message du Christ aboutisse à un échec. L’Europe le méconnaît, une autre région du monde le reprendra ! … »
Jean Brix, tu n’es plus, depuis quelques années déjà. Tu me manques, mais tu m’accompagnes tout au long du Chemin. Je suis plus fort avec toi.
Le risque, quand on s’installe dans la durée, lorsqu’on marche pendant plusieurs semaines, c’est de rabâcher. Monter les côtes, descendre au fond des ravins, marcher sur les plateaux et dans les plaines, c’est de toujours réciter des litanies. Un pied … L’autre … Mais on n’y songe plus. Alors, on cherche des signes encore. À celui qui cherche, tout devient signe : La flèche du clocher, l’arbre dénudé, l’oiseau qui passe dans le ciel, le chien que l’on rencontre …
- « Seigneur, Seigneur … Ouvre-moi les yeux ! »
J’avais déjà rencontré un chien qui était devenu mon compagnon, entre Arzac-Arraziguet et Arthez-de-Béarn. Je n’ai jamais très bien su comment nous nous étions rencontrés ni comment il m’avait quitté. Allez donc vous étonner que certains puissent voir dans ce genre d’événement autre chose qu’un hasard !
À peine sorti de Navarrenx, alors, tout juste, que s’effaçaient les remparts de la ville, je m’étais assis un moment sur le parapet d’un petit pont. L’endroit était charmant. Un ruissseau coulait sous mes pieds. Une ferme se blotissait dans le creux d’un virage. Un verger de noirs pommiers nus s’allongeait sur une verdoyante pelouse. Une chèvre rousse tirait sur sa corde. Un chien parut … Encore un chien ! … Celui-là était lourd, massif, couvert de longs poils blancs à peine jaunis. C’était un « grand pyrénéen ». Il avait une bonne tête de sage ou de philosophe. Il se tenait immobile, solidement planté sur ses quatre pattes. Il me regardait droit en face. Sa tête au large front était tournée vers moi. Ses yeux ne me posaient aucune question : Il m’attendait.
Chacun est libre d’interprêter les choses à sa façon. Chacun les ressent comme il le peut. Pour ma part, en général, je ne cherche pas à prêter aux évènements des intentions particulières. Je ne me prends pas pour Saint Paul sur le chemin de Damas. La chose serait tentante cependant. Il n’empêche, lorsque je me relevai, le chien se tourna et prit le Chemin. Comme l’autre, il allait devant. Celui- là ne courait pas, ne se roulait pas dans l’herbe des bas-côtés. Je l’ai dit : C’était un sage. Il marchait. Il marchait régulièrement, assez lourdement, sans tourner la tête, sans me regarder. Vu de derrière, il semblait que sa colonne vertébrale ondulât et sa lourde queue battait. De crainte, encore, qu’il ne s’égarât en s’éloignant par trop de chez lui, je ne lui parlai pas. Je ne le caressai pas. D’ailleurs, il maintenait les distances, comme celui que j’avais rencontré quelques jours aupa ravent. Il allait … Deux ou trois fois seulement il s’assura que je le suivais bien. Nous marachâmes ainsi, l’un suivant l’autre, jusque sur les hauteurs qui dominent Aroue. Nous avions parcouru ensemble plus de vingt kilomètres. Nous étions parvenus dans une prairie qui dévale une pente. : Herbe haute et grasse. Pour la première fois, le grand chien blanc s’était arrêté. Il ne s’était pourtant pas assis. De toute évidence, pour la première fois, il m’attendait. Nous nous trouvions devant une haie impénétrable. Il y avait là un petit portillon sur les montants duquel on distinguait très bien les deux petits traits formant signe : L’un rouge, l’autre blanc : Signe rassurant … On est certain d’être sur les chemins de Compostelle ! Une petite pancarte nous prie de bien refermer le portillon après le passage … Le chemin descend vers une ferme et l’on aperçoit, en face, la colline sur laquelle s’élève Aroue. J’ai hésité : fallait-il fermer la porte devant le chien ou bien fallait-il le laisser passer à mon côté ?
La raison me disait que je devais l’empêcher de me suivre … Il me regardait et semblait certain que j’allais le laisser m’accompagner plus loin … Je retins en effet le battant. Ensuite, je refermai soigneusement.
Deux rencontres semblables, à quelques jours d’intervalle … Sur le même chemin … Celui de Saint Jacques ! … Trouver à cela quelque signification … Pour que le geste se fasse signe, il faut avoir même langage, mêmes modes de pensée … Les hommes et les chiens ont une longue habitude de vie commune. Ils partagent beaucoup de choses … Mais encore ?
D’aucuns ne diraient-ils pas que ces chiens n’étaient que des envoyés ? – Des envoyés de qui ? – Pour quel message, dont quelle serait la nécessité ? – Quel langage parleraient ces messagers ? … Certains franchiront le pas … Cela ne m’est jamais venu à l’esprit … Et d’abord, ce serait grande vanité que de croire qu’un message pourrait m’être destiné, à moi. Les messages, c’est en moi-même que je dois en trouver les contenus et c’est dans mon propre langage que je dois les déchiffrer. Les nuages ne se déchireront pas pour me dévoiler le Ciel.
Compagnons à quatre pattes, nous avons cheminé ensemble. Peut-être encore à ce jour attendez-vous le premier pèlerin, au bord du Chemin de Saint Jacques, dans les lueurs du petit matin … Lorsque j’évoque votre souvenir, je pense immanquablement à Saint François.
Alors que je descendais le raidillon qui conduit à la ferme, une énorme voiture tout terrain montait vers moi à grand bruit. Son conducteur l’arrêta à ma hauteur et, avant de m’avoir adressé la parole, il se mit à invectiver le chien ;
- « Retourne chez toi ! Qu’est-ce que tu fais encore ici ? – Tu vas faire occasionner un accident, un de ces jours ! »
Le chien s’en est allé. Il a trouvé quelque trou dans la haie, certainement … Je ne l’ai jamais revu. Avouerai-je que j’en veux encore au fermier ?
Jack, qui me rejoignit le lendemain à Saint Palais, me dit :
- « Après Navarrenx, j’ai rencontré un grand chien blanc. Il m’a accompagné jusqu’à Aroue. Il ne m’a quitté que parce que le fermier l’a chassé ! »
Le pèlerinage est fini. Une fois revenu par le train jusqu’à la maison, ayant laissé passer le temps afin que se décantent les sensations … C’est ainsi que se présentent les souvenirs …
Non pas relation chronologique d’une équipée, non pas suite d’événements qui, par eux-mêmes n’ont aucune importance, ou si peu ! - On voudrait sans doute mieux dire la beauté des paysages : La chaîne des Pyrénées, vue du balcon d’Arthez-de-Béarn … Pics, cols, vallées, neiges halogènes, versants verts et bleus … On voudrait mieux dire. On voudrait tout dire. Mais c’est d’un pèlerinage qu’il s’agit, pas d’une randonnée. On voudrait surtout mieux dire les émotions, nombreuses.
Je rabâche un peu, Nathanaël ? Je rabâche, reprends et redis ? … Mais c’est ainsi que naissent les pensées du pèlerin. C’est ainsi que je marche, d’un mouvement sans cesse repris. Nées dans le désordre, les pensées ressurgissent dans le désordre, se reprennent l’une l’autre, se renforcent, se modulent, se complètent.
Que t’importe de savoir si j’ai eu mal aux pieds, si le sac était lourd, si j’ai réussi à bien dormir aux étapes ! Que t’importe de savoir ce que j’ai mangé … Je te le répéterai avec toute la simplicité de mon cœur : Ce pèlerinage, c’est pour moi un grand bonheur. Fasse le Seigneur que j’aie la force, en avril prochain, de repartir vers l’Espagne !
LA VOIE DU SUD
Et c’est encore une fois la merveille du printemps ! Tu te reprends à rêver de résurrection. Te voici arpentant les ruelles de l’ancienne ville, emmêlées autant que l’écheveau du temps. Elles s’enroulent et les façades des hautes maisons furent blondes, autour du crime de l’amphithéâtre et de ses dégueuloirs. Il te faudra arra cher ton âme à ces pierres usées, à ces tombes ouvertes. Le long des Alyscamps les peupliers ne sont pas bleus, les ombres ne sont pas rouges. Les nécropoles sont noires, toujours.
Il te faudra passer le pont, franchir le fleuve qui enferme la mémoire. Hors des cloîtres ! Hors des basiliques et des églises ! On a fouillé le sol et le sous-sol. Ici l’on vend du saucisson d’âne ! … Mais le chemin passe entre des fossés où coassent les grenouilles, les vergers sont fleuris, tu es ivre de vent frais, ivre d’incertitude, ivre de liberté. Le marais est sec, gris, luisant pourtant. Au bout des rizières flânent de noirs taureaux : c’est encore le drame barbare auquel il faut que tu t’arraches … En perdras-tu le souvenir sanglant ?
La ville tragique a disparu dès le premier tournant. Le mas qui gère la manade se nomme le mas des bernacles. Passent canards en vol. Fleurissent les aigrettes blanches. Le héron est aussi immobile qu’un bois mort. Va ! Passe les ponts ! La voie solitaire rectiligne est sûre : Un fossé à droite, un fossé à gauche, des barrières et des clôtures. On a fauché les roseaux. Il pleut, ou plutôt il bruine, et cela suffit sans doute pour laver les avant-hier sur ton visage et sur tes mains. Tu pars vers des aubes plus anciennes, sans doute pour de nouveaux lendemains. Va ! D’autres sont passés avant toi, beaucoup d’autres, et d’autres encore passeront, sac au dos, le cœur ouvert. Tu n’es pas d’ici, va donc voir ailleurs !
Où donc, si ce n’est là-bas où se dresse je ne sais quoi de blanc, château d’eau peut-être, ou bien silo ? … Un clocher encore ? Dans cette contrée fluviale, bateliers et rouleurs ont bâti des sanctuaires de pierre. Allons, va, longe les canaux de béton, traverse ponts et passerelles. Ce n’est point là ton domaine : Ici se sont établis les marchands de fruits, marchands de céréales, marchands de vin. Tu n’es pas établi : Va plus outre dès demain, dans le petit matin ! … C’est toujours au petit matin que s’ouvrent les fleurs.
Tu chemines sur les os du temps, anguleux et durs. La borne milliaire n’est pas une limite, elle compte les pas… Il faut la dépasser, elle est là pour ça. Les chars romains ont creusé de profondes ornières sur les dalles, autre mesure du temps ! Il faut remonter encore plus avant, fouler les thyms en fleurs, les romarins, passer entre les près où piaffent les chevaux gris, longer les ruchers actifs, les vergers empanachés … Essaie de ne pas trop approcher la blessure de l’autoroute, évite les contrées envahies par les zones industrielles et commerciales et, si tu dois cependant t’y aventurer, fais-le en chantant. Cela fait partie du jeu, cela et le goudron… On finit par s’en extraire, va !
Mais la ville est là, monstrueuse, sillonnée en tous sens par des véhicules clos de toutes formes, de toutes tailles, bruyantes et sourdes. Vois ce qu’il y a à voir, peu de choses au reste, mais certaines admirables. Le plus vite possible, sors de là.
Je sais qu’un enfant assoiffé est passé par là. Il a échappé aux pendaisons et aux fusillades. Ses poches sont pleines de cailloux et ses poings sont fermés. Sale gosse ! Il a usé ses semelles sur les ossements qui jonchent tous les chemins du monde, crachant vers le ciel des blasphèmes et des injures : Autant de cris d’amour ! Il va droit devant, marchant vers des palais de cristal que l’instant détruit l’un après l’autre, dès le franchissement des portes : Tordeur de chaînes, porteur de torche, allumeur d’images … As-tu vu le lac bleu dans la vallée ?
Au long de l’étroit sentier, il t’a bien fallu pousser devant toi les moutons égarés, jusqu’à ce qu’ils trouvent dans la clôture le trou qui leur a permis de rejoindre le troupeau. Va ! La gourde est vide, mais tu finiras bien par trouver de l’eau !
Il y a plus de mille ans, le Diable a construit le pont… L’eau … L’eau et le temps ont creusé les falaises, gorges, gouffres, précipices. Combien de millions d’années a-t-il fallu pour que le fleuve en rut, saison après saison, s’enfonce dans ces cavernes et dans ces grottes ? Ô cascades claires, ruissellements, bouillonnements, brillances, éclairs, calmes et brusques mouvements ! Dans la fente du roc, l’homme a bâti le sanctuaire … Faut-il y croire ? … Ô, touristes, promeneurs traînant les pieds, montant la ruelle en mangeant des hamburgers ! Sous la voûte très ancienne, des vierges chantent des vêpres solennelles.
Les chemins en lacets montent aux falaises. Les caillasses roulent sous les pas ? Ah ! Le lézard vert serti sur la dalle de craie ! Immobile, les yeux d’or, paupières battantes, ocelles bleus sertis de noir … Mon frère le lézard aux flancs haletants … C’est rêver ! Il faut pourtant que tu montes. Ivresse da ns le ciel où moutonnent les collines vertes pressées. Le lac te regarde encore ; Il faut aller plus haut, plus loin, remonter l’espace et le temps. Ici, il reste des tertres de pierres empilées. Il faut aller ailleurs.
Pointe sonore du bâton…
Pur. Ah ! Pur ! Où, dans la roche ; où, dans le ciel ; où, le pur diamant ? Sur le tranchant des pierres, que l’on nous conduise aux déserts du sel, aux portes des monts de cristal !
Asphodèles, épines, le goût du fer et de l’anthracite à la fois … Pur et seul, et chantonnant tout bas des chansons très simples, des chansons d’innocents. Ah ! Très pur ! Lame claire !
Ce sera ensuite pays plus humain et plus civilisé, plus tendre. Il se révèlera sous la pluie. Après l’essor des flèches et des ogives, c’est retour vers le sol par l’arcade romane, vers le cœur de l’homme, retour sur soi. Marche dans tes pensées … Les terres sont peignées, apprêtées, les forêts ne sont plus les mêmes. Contrastes des couleurs… Ors des colzas … Vert frais des semis de maïs ou de blé, glauque des forêts de mélèzes puis ceux, plus légers, des bois de hêtres ou de chênes … Bruns et rouges des labours minutieux … Pour l’instant, la terre est à sa première toilette ? Ô, formes de l’esprit, semblables à ces jardins japonais, où à ces cloîtres d’antan, toujours peignés, toujours ratissés de neuf ! …
Caque chose à sa place et la place pour l’esprit ! Méditation, promesses de fenaisons très belles, de lourdes moissons, d’abondantes vendanges …
Puis c’est encore une très vieille cité, que domine sa cathédrale, vaste vaisseau dont la proue laboure depuis cinq siècles les mêmes vagues de pierre au flanc de la colline. Cité chargée d’histoire et de houles, garderas-tu la piété ? … En ce dimanche de printemps, un archevêque consacre un prêtre nouveau. Rare cérémonial, par les temps qui vont ! Pourpres, ors, blancs immaculés, onctions et chants … Le nouveau vicaire nous enseignera-t-il la jolie fleur de l’ancolie, celle du « dicentra spectabilis », dite « cœur de Marie ? Saura-t-il, par la création, nous conduire au Créateur ? Ô, Seigneur, donnez-nous des poètes et des prêtres, donnez-nous des poètes qui soient des prêtres, donnez-nous des médiateurs, des intercesseurs, des introducteurs ! … Ô, que le prêtre nous apprenne à voir ! … Mais, pour nos enfants, y aura-t-il encore des prêtres, y aura-t-il encore des poètes ?
Dans les travées de la cathédrale, exceptionnellement remplies, se presse une foule de vieillards. Les officiants sont plus vieux encore, quoique nombreux. Nos enfants connaîtront-ils encore les noms des Saints, les noms des fleurs, ou bien inventeront-ils d’autres voies, d’autres chemins ? … Il est temps encore, mais que l’anabase, vite, s’accomplisse ! Que l’on assure la fondation de villes neuves et pures !
De la vieille cité, il te faudra sortir encore. Tu reprendras le chemin que les pluies ont noyé. Tu peineras, tu glisseras, tu chuteras. Un matin, pourtant, le voile se déchirera, le nuage s’ouvrira. Alors, au détour d’un champ, à la sortie d’une forêt, à la crête d’une colline, au sortir d’une pensée surprise, la beauté de toute une chaîne de montagnes encore couronnées de neige se manifestera, remplie de lumière. Elle s’impose à l’évidence. On ne la discute pas ? Ombres et clartés … On admire !
Peut-être bien que tu auras alors trouvé ce que tu cherchais dans ce long voyage ?
Marcheras-tu jusqu’au champ des étoiles ? Qu’y trouverais-tu, autre qu’une très vieille légende ?
- « Eh ! Qu’importe ! … Croire ou douter, c’est exactement la même chose, après tout, n’est-ce pas ? … Seule l’indifférence est impie.
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